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y a de par le monde peu d’artistes, mais beaucoup d’ « entrepreneurs de bâtisse » ou de marchands, ou de spéculateurs. Nos pauvres villes leur appartiennent, et j’admire comme elles restent belles encore, malgré tous les embellissemens qu’ils y font. Car les villes sont des êtres, n’en doutez pas, ayant un reconnaissable visage, et un personnel accueil, tristes ou gaies, bonnes ou méchantes, où l’âme du peuple se devine à travers les fenêtres, qui sont les yeux des monumens. Déjà, pour quelques constructions distinctives, œuvres rares d’architectes que l’on connaît et que l’on compte, maisons ou palais perdus dans l’ennuyeuse perspective des voies nouvelles, combien peu d’œuvres faites pour le cœur ou pour l’esprit, sous l’enlaidissement et la vulgarisation des rues, des demeures et des êtres à Berlin ou à Pest, à Rome ou à Saint-Pétersbourg, à Londres ou à Paris. La question, à vrai dire, est presque insoluble. Il faut faire grand, vite et bon marché ; les prescriptions sanitaires et le confortable exigent des formes, quand, pour l’amour des styles, l’École et les maîtres en enseignaient d’autres. Les manies, la vanité ou la demi-éducation du client enrichi imposent une époque à l’artiste désarmé qui proposait son goût, ou qui tout au moins demandait à essayer quelque chose, pour voir, pour changer. Il lui faut marcher à la moderne — y courir — dans les souliers de Louis XIV. Combien de nos nouveaux grands seigneurs y trébuchent ! Est-ce à dire que notre époque ne soit pas capable d’invention, et fort libre et, en fin de compte, assez agréable ? J’en conviens, étant comme vous de mon temps, et habitué à jouir de sa fièvre, de son inconséquence et de sa facilité ! Mais un temps qui restaure trop bien ne peut être un temps qui ose inventer. Peut-être faudrait-il avoir le courage de dire qu’une époque qui ne démolit plus n’est plus une époque créatrice. Le beau livre d’architecture serait-il fini, que nous sommes si fort occupés à en dresser le catalogue ?…

A Paris, depuis le pavillon de Flore de Lefuel jusqu’à l’Hôtel de ville de Ballu, depuis le Palais de justice de Duc, jusqu’à la Bibliothèque de Labrouste, pour citer les meilleures constructions, les constructions typiques, des années qui ont précédé la génération actuelle, c’est, déjà pendant tout le second Empire et les premières années de la troisième République, une évidente préoccupation de continuer de belles formes connues, de raccorder des styles, ou même de copier des modèles, célèbres, et