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faisait clair de lune. Au bord de la fosse, dans laquelle un lit de chaux avait été jeté, se passa une scène d’une singulière horreur : tandis que la Chauvinais faisait le guet, le docteur Lemasson, qui avait suivi le corps, le dépouilla du drap qui l’enveloppait et, prenant un scalpel, lui fit sur les bras, sur l’abdomen et sur les cuisses de larges incisions dans lesquelles il glissa de la chaux ; il espérait ainsi activer la décomposition. On descendit aussitôt le cadavre nu dans la terre, on le recouvrit de la chaux que la Chauvinais avait pris la précaution d’apporter : le sol fut ensuite égalisé et piétiné et l’on planta sur la tombe, pour en mieux dissimuler la trace, un pied de houx. A minuit, tout était terminé.

Le lendemain, dès l’aube, Mme de la Guyomarais fit appeler Perrin et lui recommanda sur tous ces faits le plus profond silence : les autres serviteurs de la maison ne paraissaient pas s’inquiéter beaucoup de ce qu’était devenu le « Monsieur » dont ils ignoraient le nom : il semble qu’ils ne conçurent aucun soupçon de sa disparition subite.

M. de la Guyomarais, de son côté, voulut qu’un acte fût dressé de la mort du marquis de la Rouerie : avant le départ de Fontevieux, de Chafner et de Lemasson, il rédigea le procès-verbal dont voici le texte :

Nous, soussignés, Joseph de la Motte de la Guyomarais, Georges de Fonte-vieux, Chafner, major américain, Masson médecin, certifions qu’Armand-Charles-Tuffin, marquis de la Royrie, est mort à la Guyomarais dans la nuit du 29 au 30 janvier 1793, à quatre heures du matin, âgé de quarante-deux ans.

Le 30, vers les dix heures du soir, son corps a été déposé dans le petit bois vieux semis, en face le jardin de la Guyomarais.

Pour reconnaître l’endroit, il est placé au milieu de quatre chênes. En face du quatrième, sur la fosse, on a planté un houx, afin de pouvoir un jour transporter ses restes dans l’enfeu de la famille de la Guyomarais ou ailleurs.

La Guyomarais, le 31 janvier 1793.

JOSEPH DE LA GUYOMARAIS, GEORGES DE FONTEVIEUX, CHAFNER, MASSON, médecin.


Ce document, roulé dans une bouteille qu’on cacheta, fut enfoui au pied d’un chêne sur la lisière de la Hunaudaye. Il fut trouvé là, par hasard, en 1835 : l’humidité avait quelque peu atteint le papier ; cependant le texte restait lisible et on put facilement en prendre copie.

Fontevieux, Chafner et Lemasson quittèrent la Guyomarais