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dans la journée du 31. Loisel était parti dès la veille. Lemasson retournait à Saint-Servan, Fontevieux se chargeait d’annoncer aux Princes la mort du chef de la conjuration, Chafner se rendit à Fougères afin d’en faire part à Thérèse de Moëlien. Saint-Pierre, le fidèle domestique du marquis, resta donc seul au château : il aida M. de la Guyomarais à faire disparaître les traces du séjour du proscrit : tous deux ouvrirent la valise de cuir noir que la Rouerie ne quittait jamais ; ils y trouvèrent la correspondance du Comte d’Artois, les pouvoirs donnés au marquis, les commissions en blanc signées des frères du Roi et divers reçus des sommes versées à la caisse commune par les affiliés. Saint-Pierre ne demandait qu’à se dévouer, pour expier son crime, disait-il, car, dans sa douleur d’avoir perdu son maître, il s’accusait d’être la cause involontaire de sa mort. Il accepta donc avec joie la périlleuse mission de porter à Desilles les papiers de la Rouerie et l’argent trouvé dans sa ceinture : il partit dans la nuit du 1er février, et les habitans de la Guyomarais reprirent, en apparence tout au moins, l’existence calme qui leur était habituelle.


Chévetel, dès son retour de Belgique, avait adressé deux rapports : l’un à la Rouerie pour lui rendre compte de son voyage, l’autre au ministre pour le mettre au courant de la situation et des projets de la conjuration. Ce rapport, daté du 24 janvier 1793, était à peine envoyé, que Chévetel reçut une lettre de Thérèse de Moëlien, inquiète de l’état du marquis, dont elle avait appris la maladie, tout en ignorant encore l’endroit où il s’était réfugié : elle suppliait Chévetel de venir donner des soins à leur ami souffrant. Chévetel fut ravi de l’aubaine : il s’en prévalut auprès des autorités ; et le 1er février, le conseil exécutif provisoire rendait un arrêté enjoignant aux ministres d’envoyer en Bretagne un corps de troupe qui devait se tenir aux ordres « des personnes porteurs des pouvoirs pour arrêter les chefs des conjurés ». Ces personnes, on l’a deviné, n’étaient autres que Latouche-Chévetel et Lalligand-Morillon : la collaboration des deux personnages avait donné de trop brillans résultats pour qu’on songeât à leur « retirer l’affaire ». Ils étaient d’ailleurs indispensables l’un à l’autre, Lalligand ne pouvant agir que sur les indications de Chévetel et celui-ci se refusant à (mettre ostensiblement la main à la besogne.