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d’Allerac et de la Fonchais qu’il voulut questionner en présence de leur oncle Picot de Limoëlan, insinuant que celui-ci, « homme d’expérience et de sang-froid, saurait ouvrir dans ses réponses une ligne de défense que ses nièces n’auraient plus qu’à suivre ». Il manœuvrait avec une incomparable virtuosité, trouvant le moyen d’éloigner Chévetel, offrant insidieusement ses services aux pauvres femmes affolées, cherchant à leur faire comprendre qu’il n’était pas intraitable et que son intégrité avait des limites. Que se passa-t-il dans ces entretiens mystérieux ? Le procès-verbal est plein de lacunes ; mais une chose est certaine, c’est que Lalligand, ayant découvert la retraite de Desilles, se mit à sa poursuite et le laissa échapper, avec Dubuat et Lemasson, fils du docteur compromis dans l’inhumation de la Rouerie : tous trois, comme si on les eût prévenus à temps, se jetèrent dans une barque et prirent le large à Rotheneuf. Il nous paraît bien probable que les trois filles de Desilles avaient acheté à Lalligand la liberté de leur père.

Pendant huit jours, l’espion séjourna à la Fosse-Ingant, poursuivant son enquête : il avait ouvert le bocal et fait l’inventaire des pièces qui y étaient renfermées ; toutes établissaient la complicité de Desilles, et la véracité des délations de Chévetel. Outre les lettres autographes du Comte d’Artois, les commissions en blanc, les minutes des proclamations de la Rouerie, les inventaires d’armes et de munitions, on y trouva mention des cotisations payées par certains affiliés, Locquet de Granville, Groult de la Motte, Morin Delaunay, Thérèse de Moëlien, et aussi le nom de Thomazeau, quincaillier à Saint-Malo, qui avait fourni des armes, ainsi que les quittances des sommes reçues par Fontevieux pour ses frais de voyage.

Très renseigné par Chévetel, qui sous main dirigeait son compère, Lalligand lança contre Groult de la Motte, Locquet de Granville, Delaunay et Thomazeau des mandats d’amener : tous, conduits sous escorte à la Fosse-Ingant, affirmaient n’avoir pris aucune part au complot ; ils ne s’expliquaient pas comment leurs noms figuraient dans les papiers de la Rouerie, n’ayant jamais eu, disaient-ils, de relations avec lui depuis le commencement de la révolution. Les domestiques de la maison, les fournisseurs, les paysans du voisinage n’en apprirent pas davantage : on ne tira d’eux que quelques renseignemens très vagues.

Un incident imprévu termina cette longue enquête : au