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englouti avec lui. On voit alors passer sur le fond du théâtre la longue procession des malheureuses que le volage séducteur a tour à tour abandonnées. Ce ne sont que des larves : les articles du programme radical sont-ils autre chose ? On a de la peine à en distinguer dans l’ombre les contours de plus en plus vaporeux.

Une campagne électorale aussi fertile en sacrifices de principes ne pouvait pas présenter beaucoup d’intérêt. Aussi n’en a-t-elle présenté aucun. Il est beau de voir les bannières des divers partis s’élever sur les champs de bataille, lorsqu’elles sont tenues par des mains hardies et fermes, et que les combattans se groupent éperdument autour d’elles, pour vaincre ou pour mourir. C’est un spectacle qui émeut. Mais ce n’est pas celui que nous avons eu à contempler. Il n’y a eu tout au plus que le drapeau des républicains de gouvernement qui ait été déployé tout entier, au risque de subir quelques déchirures. Quant aux radicaux, ils ont très prudemment plié et replié le leur et l’ont déposé en quelque lieu sûr. Veut-on savoir ce que cela signifie ? Une chose très simple : c’est que les radicaux et surtout que leur chef d’hier, M. Bourgeois, se préparent à la concentration. Ils ont fait, avant la clôture de l’ancienne Chambre, de nombreuses, mais de vaines tentatives pour rentrer dans la majorité républicaine. Ils ont poussé des cris de douleur et de colère parce que la majorité ne s’y prêtait pas. M. Deschanel, que nous citions plus haut, leur a répondu que ce n’étaient pas les modérés, mais eux-mêmes, qui avaient rompu la concentration d’autrefois. Qui donc, sachant très bien que les modérés ne l’accepteraient pas, avait voulu leur imposer l’impôt progressif sur le revenu, si ce n’est M. Bourgeois ? Qui donc, après son échec accepté sans philosophie, avait voulu imposer au parti républicain la révision de la constitution sous la forme d’une menace contre le Sénat, si ce n’est encore M. Bourgeois ? N’est-ce pas lui, dès lors, qui avait rompu l’ancien accord ? Le réquisitoire était vif et pressant : M. Bourgeois en a senti toutes les pointes. Dans le fond de sa conscience, il s’est reconnu coupable, non pas d’intention, mais de fait. Aussi sa conversion est-elle touchante. Elle n’est pas encore tout à fait complote, mais il s’en faut de peu, et quand elle le sera, M. Bourgeois pourra tourner vers le centre un visage si conciliant, si séduisant, que la concentration se refera toute seule. Avons-nous besoin de dire que rien ne nous paraîtrait plus dangereux ? Heureusement le ministère est là. L’autorité de M. Méline, qui a si remarquablement grandi au cours de la dernière législature, n’aura pas été diminuée par les élections. Bien qu’il y ait encore 178 ballottages, on peut dès maintenant prédire que la