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à la visite dans les rares pays qui n’ont pas aboli la course. » Le gouvernement espagnol a donc pu, sans violer le droit des gens, insérer dans son décret du 24 avril 1898 un article ainsi conçu : « Afin de capturer les navires ennemis et de confisquer la marchandise ennemie sous son propre pavillon et la contrebande de guerre sous quelque pavillon que ce soit, la marine royale, les croiseurs auxiliaires et plus tard les corsaires, exerceront le droit de visite en pleine mer et dans les eaux soumises à la juridiction ennemie selon le droit international et les instructions qui seront publiées[1]. » On peut se demander toutefois s’il ne conviendrait pas d’imposer au corsaire avant la visite, comme le propose Haute feuille, la production de ses lettres de marque. Il nous paraîtrait utile de généraliser cette pratique, adoptée dans l’Amérique du Nord pendant la guerre de Sécession[2].


II. — LA NEUTRALITÉ, LE DROIT DE VISITE ET LA CONTREBANDE DE GUERRE

La puissance neutre est celle qui ne participe ni directement ni indirectement à des hostilités engagées entre plusieurs Etats.

On confond trop aisément les actes accomplis par l’Etat neutre lui-même ou par ses agens et les opérations entreprises à titre particulier par ses nationaux. Par exemple, une dépêche de Lisbonne (6 mai) annonce que le gouvernement portugais a reçu du cabinet américain une note énergique. Celui-ci, dit-on, reproche au Portugal d’avoir enfreint la neutralité en « facilitant l’envoi » de neuf cents caisses de munitions et de vivres au Cap Vert, à destination de l’escadre espagnole. Or, en principe, un gouvernement n’est pas responsable d’une opération commerciale, fût-ce un envoi d’armes, faite par un de ses nationaux à ses risques et périls. Un pays peut interdire, comme l’ont fait en 1870 la Belgique et la Suisse, de semblables envois, mais n’y est pas obligé. L’Allemagne a laissé ses grandes usines vendre des armes aux États

  1. Bien entendu, les corsaires n’auront pas plus de droits que les bâtimens de la marine militaire espagnole. Ceux-ci ne pouvant pas, comme nous l’expliquerons plus loin, capturer la marchandise inoffensive sous pavillon neutre, les corsaires américains ne le pourront pas davantage. La Société pour la défense du commerce de Marseille ayant exprimé des craintes à ce sujet, M. Hanotaux l’a, sur-le-champ, rassurée.
  2. Mais c’est à tort qu’on se prévaut à ce sujet (voir Calvo, le Droit, international, etc., § 2 958) de la pratique anglaise. Sir Travers Twiss invoque, au contraire, la pratique anglaise pour soutenir qu’on n’a pas le droit de faire exhiber par le commandant du corsaire sa commission et ses papiers de bord, (Le Droit des gens en temps de guerre, § 199.)