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marchandise ennemie, sauf la contrebande de guerre ; la marchandise neutre, sauf la contrebande de guerre, est insaisissable sous pavillon ennemi. » La marine militaire de ces belligérans est donc tenue de respecter la marchandise inoffensive ennemie sous pavillon neutre comme la marchandise inoffensive neutre sous pavillon ennemi.

Mais on s’est demandé si, dans l’état actuel des rapports entre des peuples civilisés, les bâtimens neutres sont encore astreints à subir le droit de visite et si le moment n’est pas venu de déclarer que l’exercice de ce droit exorbitant est inconciliable avec l’indépendance des États.

Il est à peine utile de rappeler que la mémorable discussion suscitée dans les Chambres françaises en 1842 n’eut pas pour objet le droit de visite en temps de guerre. Il ne s’agissait que de savoir si notre parlement laisserait pénétrer dans la loi des nations le droit de visite réciproque en pleine paix à bord des navires soupçonnés de transporter des esclaves. Sans doute, il faut reconnaître que certains publicistes contemporains, esquissant un tableau des réformes à introduire dans le droit international, appellent de leurs vœux la suppression totale du droit de visite sous prétexte : 1° qu’il est contraire à la souveraineté du pavillon neutre ; 2° qu’il n’y a pas lieu de rechercher la contrebande de guerre dans la haute mer, la marchandise transportée ne devenant contrebande qu’au moment où elle est remise à l’ennemi ; 3° que le blocus suffit à prévenir cette remise[1]. Mais aucune puissance, à l’heure présente, ne coopère à ce gigantesque projet. Dans l’état actuel du droit international, chacun des États en guerre peut arrêter, même dans la haute mer, les bâtimens neutres à destination de l’Etat ennemi pour examiner s’ils ne transportent pas des articles de contrebande. Comme on ne peut pas en général, bloquer effectivement tous les ports d’un belligérant, il n’y a pas un gouvernement prêt à répudier ce moyen beaucoup plus efficace d’empêcher que les neutres ne participent aux hostilités. L’Espagne s’est donc, en maintenant le droit de visite dans son décret d’avril 1898, conformée purement et simplement à la pratique universelle.

Ce qu’il faut regretter, c’est que les peuples civilisés n’aient pu s’entendre, jusqu’à ce jour, pour définir la contrebande de guerre.

  1. Kleen, Lois et Usages de la neutralité (1898), t. I, p. 57 et suiv.