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à l’accusateur public et qu’à sa première audience elle en verrait l’effet. » Mme de Sainte-Aulaire suivit exactement ce conseil, remit l’argent, obtint sur-le-champ l’audience, et demanda que son père fût transporté, dès son arrivée, rue de Charonne, dans la maison de santé du docteur Belhomme. Fouquier-Tinville, sans autre explication, expédia l’ordre sollicité et, le soir même, le comte de Noyan était écroué chez Belhomme, en compagnie de Clavet.

Cette maison était primitivement consacrée au traitement des aliénés. Dans un corps de logis, au fond de la cour, on enfermait ceux dont l’état exigeait une surveillance sévère ; les plus tranquilles occupaient les autres parties de l’habitation. Le propriétaire de l’établissement ne s’occupait pas plus de médecine que de politique ; il avait d’abord reçu chez lui des fous, comme il y reçut, la Terreur venue, des prisonniers, et il préféra cette dernière industrie parce qu’il la trouva plus productive. Lié avec quelques hommes puissans à cette époque, il employa son crédit auprès d’eux pour obtenir une sauvegarde tacite en faveur de sa maison : il les intéressa dans sa spéculation qui en devint très bonne pour tout le monde. Fouquier-Tinville et les Comités de la Convention vendaient très cher leur tolérance ; Belhomme percevait d’énormes pensions que les prisonniers payaient volontiers et, en définitive, le régime de la Terreur n’y perdait rien, car ces prisonniers pouvaient toujours être ressaisis quand leur bourse était épuisée. Il fallait seulement en ce cas, pour le bon renom de l’établissement, qu’en en sortant, ils ne montassent pas directement sur l’échafaud, et qu’on les déposât pendant quelques jours dans une prison ordinaire.

Cependant, M. de Noyan n’en était pas moins sous le coup d’un acte d’accusation, et les pièces qui constataient sa culpabilité avaient été envoyées au Comité de sûreté générale. Si, de là, elles passaient au greffe du tribunal révolutionnaire, sa condamnation était certaine. Lalligand, du reste, commençait à s’inquiéter des lenteurs de Mme de Sainte-Aulaire : le jour même où elle était arrivée à Paris, il l’avait prévenue que le dossier de son père était entre ses mains et qu’il était autorisé, par les membres du Comité à le vendre au prix de 100 000 francs, payés comptant. Il avait approuvé l’entrée de M. de Noyan chez Belhomme ; mais il laissait entendre que cet asile n’offrait qu’une sécurité précaire. Au surplus, ce n’était jamais en son nom qu’il