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L’affaire n’était pas finie pourtant. Le jour suivant, nouvelle alerte : un message de Lalligand, conçu dans des termes sévères, manda Mme de Sainte-Aulaire et Montrocher. Ils se rendirent aussitôt chez lui et le trouvèrent dans une grande colère ; il se plaignit d’un manque de probité, d’une sorte de trahison. « Il ne faut pas se jouer ainsi du Comité de sûreté générale, criait-il ; Chabot, Bazire, sont fort irrités et se vengeront assurément ; quant à moi, je n’ai plus la volonté ni le pouvoir de me mêler des affaires de M. de Noyan, et j’ai voulu vous en faire la déclaration précise. » Mme de Sainte-Aulaire était consternée et Montrocher perdait lui-même de son assurance : ils furent longtemps à comprendre de quoi il s’agissait. Lalligand finit par leur expliquer qu’ayant à procéder au partage de la rançon de M. de Noyan, l’une des parties prenantes avait accepté pour 30 000 francs la malle d’argenterie et avait reconnu, après inspection, que deux grands seaux qu’elle contenait étaient en plaqué et non pas en argent. Ces deux seaux étaient en ce moment renversés sur le parquet de la chambre ; il en calculait le volume et le poids, et évaluait à 15 000 francs le dommage que la mauvaise foi de ses cliens avait causé à leurs protecteurs !

— C’est non seulement une odieuse ingratitude, disait-il, mais une insigne imprudence, et si les 15 000 francs ne sont pas, dans la journée, restitués à qui de droit, M. de Noyan couchera ce soir à la Conciergerie.

De toutes les épreuves qu’eut à subir Mme de Sainte-Aulaire à cette terrible époque, aucune ne lui laissa de plus poignans souvenirs. Sa justification était cependant facile : elle avait donné l’argenterie telle qu’elle se comportait ; la malle qui la contenait n’avait point été faite pour la circonstance, et elle n’en avait assurément soustrait aucune pièce. Quant à la demande de fournir un supplément de 15 000 francs, elle n’avait aucun moyen d’y satisfaire !… Elle avait vidé sa bourse, épuisé son crédit ; il ne restait pas chez elle une cuillère d’argent et tout le mobilier de son petit appartement consistait en deux ou trois lits de sangle et quelques mauvais fauteuils. — Quand Lalligand eut acquis la certitude que le dénûment de sa victime était absolu et que ses menaces n’obtiendraient d’autre effet que des larmes, il se calma, fit asseoir Mme de Sainte-Aulaire à une table, lui mit une plume entre les mains, et lui dicta une obligation de 15 000 francs à son profit. La pauvre femme écrivit tout ce qu’il voulut, jura cent fois