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de la cour des Princes exilés, adressait à Danton des listes de proscription, note, à chaque anniversaire, l’empressement de ses paysans à témoigner leur amour pour « l’Auguste famille que le ciel dans sa bonté a rendue à la France ». Lors des fêtes du baptême du Duc de Bordeaux, sa rédaction devient lyrique.

Ces palinodies ne l’empêchèrent pas d’acclamer la révolution de 1830… et il resta maire ! Il maria au nom de Louis-Philippe comme il avait marié au nom de Charles X, de Louis XVIII, et de Napoléon. Mais depuis la mort de sa femme, son existence s’était modifiée. On faisait bombance dans sa petite maison de la place de la Mairie ; « la broche, nous dit-on, y tournait nuit et jour ». On y voyait se glisser, à la brune, des amis venus de Paris par le coche de Choisy-le-Roi ; il existe encore à Orly des gens qui ont connu Chévetel ; ils se rappellent un homme gros et fort, de taille assez petite, marchant avec une peine extrême, car il souffrait de la goutte, et appuyé sur un bâton : chaque jour, il faisait, ainsi, son tour dans les rues du village, et les gamins, — vieillards aujourd’hui, — couraient à lui en criant :

— Bonjour, monsieur Chévetel !

Il riait, car il était « bon vivant », tutoyait tout le monde, ne se déshabituant pas de jouer au seigneur. Tout le pays avait recours à lui pour les soins aux malades, pour les remplacemens militaires, pour les recommandations et les démarches de toute sorte. On n’ignorait pas qu’il « aimait à intriguer », et on en abusait. Cependant il était plus craint qu’aimé : son inconduite même causa du scandale : on lui connut un enfant, ce qui fit jaser, et l’on assure encore qu’il ne se gênait pas pour condamner à douze heures de violon les maris gênans. Il n’avait pour tout domestique qu’une vieille bonne hargneuse et insolente, détestée de tout le village.

En 1832, il donna sa démission de maire : le désordre de sa vie, ses démêlés avec le curé, un digne et saint prêtre qui resta pendant quarante ans à Orly, rendaient impossible sa magistrature. Cette déchéance en amena d’autres et sa fin fut misérable : il avait épuisé toute sa fortune et engagé ses immeubles. Sa servante allait de porte en porte mendier pour lui.

Chévetel mourut le 15 février 1834. Son enterrement fut un événement : les habitans d’Orly voulurent conduire avec pompe à sa dernière demeure le magistrat qui, pendant vingt ans, avait présidé à leurs destinées. Les enfans des écoles faisaient la haie