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LE PEUPLE GREC.

pouvaient manquer de s’ouvrir à l’esprit de ses grands penseurs, il conserve un optimisme souriant. Selon le mot de Renan, ce peuple a toujours vingt ans et même, par certains côtés, il mérite ce que disait le prêtre égyptien à Solon : Ô Grecs, vous êtes des enfans.

Sa sensibilité, au lieu d’être concentrée énergiquement en soi comme celle des Romains, s’épanche volontiers, elle est communicative. Il a la sympathie bien plus prompte que l’Ibère ou le Romain ; au lieu des instincts sauvages et cruels, il a la douceur et l’humanité, N’est-ce pas Athènes qui éleva un autel à la Pitié, où vaincus, proscrits, esclaves trouvaient un refuge ? À Thèbes, ils avaient l’asile de Cadmus, à Antioche, le bois de Daphné. L’esclave athénien entre dans la famille après avoir reçu sur la tête l’eau lustrale. Désormais, il assistera aux prières et partagera les fêtes : le foyer le protège. Son maître peut le faire sortir de la basse servitude et le traiter en homme libre, mais le serviteur ne quitte pas pour cela la famille, dont il ne peut se séparer sans impiété. À Sparte, quoique la condition des esclaves fût plus dure, elle ne le fut pas autant qu’on l’a prétendu, et c’est ce que O. Müller a mis hors de doute.

La sympathie facile engendrant la sociabilité, on pouvait s’attendre à trouver chez l’Hellène (comme plus tard chez les Gallo-Romains et les Français) l’instinct social en son plus haut développement : il a l’horreur de la solitude, le besoin de fréquenter ses amis et ses compatriotes, de passer sa vie au grand air dans des entretiens et discussions interminables. Platon appelait l’Athénien φιλολόγος (philologos), ou πολυλόγος (polulogos), et Aristote songeait au Grec quand il définissait l’homme Ζῶον πολιτιϰον (Zôon politikon).

L’ancien Hellène, surtout l’Athénien, est avant tout un intellectuel. Il semble, comme dit Thucydide, « n’avoir en propre que sa pensée » ; mais ce trésor vaut mieux que tous les autres, tant cette pensée est souple, agile, inventive. Merveilleuse en ses applications pratiques, elle l’est davantage encore en son exercice spéculatif. Les peuples sont comme les individus : quand leur cerveau est conformé de manière à leur rendre facile tel genre de travail, un instinct irrésistible les pousse sur la pente la plus douce : un peuple extraordinairement intelligent aimera à penser pour le plaisir même de penser. Ce fut le plaisir grec par excellence. Le résultat positif, sans être négligé[1], « semble à l’Hellène

  1. Les Achéens d’Orchomène avaient déjà trouvé le moyen de dessécher le Copaïs par des travaux, que nos ingénieurs n’ont pu renouveler encore.