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Parque ou de l’Hécube méconnues comme on parle aujourd’hui du Balzac, — avec les mêmes enthousiasmes, avec les mêmes dédains pour la foule, avec les mêmes argumens, en en appelant de même à l’avenir. Mais qui tient aujourd’hui pour des chefs-d’œuvre ces choses honnies il y a cinquante ans par la foule ? La foule ne se trompe donc pas toujours…

Si quelques amateurs prêtent l’oreille aux suggestions de la critique admirative, c’est pour une autre raison encore que par la crainte de se tromper. Tout l’effort de la critique contemporaine a tendu depuis longtemps à expliquer l’œuvre d’art par des circonstances extérieures à cette œuvre et au talent de l’ouvrier. On nous a expliqué le coloris frais de Fra Angelico, non par la finesse de son œil, mais par la qualité de sa foi, le coloris chaud des Vénitiens par la somptuosité de leur vie nationale, les muscles de la Nuit de Michel-Ange par la fougue de son patriotisme et l’effondrement de ses rêves de liberté. Il est devenu un truism de dire que les chefs-d’œuvre des maîtres sont dus à leur conscience, à leur étude approfondie du sujet, à leur sincérité. Les amateurs s’y sont accoutumés, et lorsqu’on leur dit que telle œuvre est une chose méditée, voulue, cherchée pendant dix années, que l’artiste a étudié la philosophie du sujet avant de l’entreprendre, qu’il a fait dix voyages pour en rassembler les élémens, qu’il a vécu enfermé au sommet d’une tour ou au plus profond d’une mine pour s’imprégner d’un jeu céleste ou d’un labeur humain, — aussitôt regardons-nous cette œuvre avec de tout autres yeux et découvrons-nous des qualités dont on ne s’était pas avisé, En fait, ce sont là des anecdotes utiles pour une biographie et très favorables aux développemens littéraires, mais qui n’ont aucun rapport avec la valeur de l’œuvre. Juger un tableau d’après les circonstances dans lesquelles il fut peint et la sincérité de l’artiste, c’est s’exposer aux plus graves erreurs. Si l’on vous disait qu’un de nos plus grands maîtres a peint la plupart de ses toiles dans son jardin à Paris et, pour plus de plein air, au plus haut d’une tour, ouverte à tous les vents, de la villa Médicis, à Rome, qui dans ce signalement reconnaîtrait les œuvres de M. Hébert ? Ce sont de tels argumens pourtant qu’on fait valoir en faveur du Balzac. On nous dit que, pour faire cette statue, l’artiste a relu toute la Comédie humaine et qu’il a été passer deux étés en Touraine. Mais quand il en aurait passé quatre, cela ne ferait pas que le Balzac soit d’aplomb. Ou encore qu’il a recommencé quatre fois