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le tumulte du prétoire, les clameurs de la foule et jusqu’au sifflement des fouets. Tantôt (voir le verset : Tui nati vulnerati), les voix, surtout les voix de contralto, s’épancheront en moelleuses cantilènes, en prières d’une tendresse infinie, mais toujours robuste et comme noblement maternelle. Au cours de cette prose musicale, — je dirais plutôt de cette musique en prose, — qui se poursuit très libre, sans repos, sans repères ; à travers les oppositions tonales et les contrastes de sonorité, nous trouverons aussi des cris de terreur, et, dans l’attente du jugement, de ces bonds, de ces sautes de voix qui font si tragique le Tremens factus sum du Requiem pour Manzoni.

Jusqu’au bout, le maître italien demeure fidèle à son idéal un peu extérieur et très éclatant. Il suffirait, pour s’en convaincre, de comparer le dernier tercet de ce Stabat à celui du Stabat de Pergolèse.

Quando corpus morietur,
Fac ut animæ donetur
Paradisi gloria.

Sur la mélodie de Pergolèse, le mot Paradisi se pose avec une douceur, une tristesse exquise ; à demi lumineux, obscur à demi, il semble se partager entre la terre et le ciel, entre la souffrance qui s’achève et la félicité qui approche. Cela est adorable et purement intérieur. Tout différent est l’effet qu’a cherché Verdi et qu’il a obtenu. Il énonce le mot avec plus de lenteur, sinon plus d’onction que Pergolèse. Il le soutient, il l’amplifie par une progression, qui va jusqu’à l’épanouissement total, de la tonalité, des valeurs et de l’intensité sonore. Il nous donne ainsi une sensation d’assomption, d’apothéose et de ciel ouvert. C’est du dehors qu’il appelle à nous la beauté, l’émotion, que Pergolèse éveillait et qu’il enfermait au plus profond de nous-mêmes.

Ce caractère, ou cette couleur générale, Verdi l’atténue, sans l’éteindre, dans les Laudes à La Vierge Marie, pour quatre voix de femmes. Voci bianche, porte la partition. Elle se trompe, car l’intérêt et le prix de ce quatuor vocal est au contraire dans le coloris et les nuances. Coloris profane et nuances incompatibles, s’il en fallait croire certains puristes, avec la rigueur du style a capella. Mais il ne faut pas les en croire. Pour être le compatriote de Palestrina, Verdi n’est pourtant pas son contemporain. De ce qu’on écrit aujourd’hui pour quatre voix sans accompagnement, il ne résulte pas qu’on doive s’en tenir aux seuls accords que se permettaient, — n’en connaissant pas d’autres, — les grands maîtres d’il y a trois cents ans. Le rêve n’est pas