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Maintenant, n’y a-t-il point des ombres au tableau ? On reproche à toute cette instruction d’être quelque peu superficielle, de chercher plutôt le « bien dire » et l’apparence de la science que la science solide et les connaissances positives. La tradition hellénique est encore ici visible. On reproche surtout à cette instruction généralisée de ne pas être en rapport avec les besoins réels du pays et d’exciter dans les esprits des ambitions impossibles à satisfaire. Ce mal universel est plus sensible en Grèce qu’ailleurs, car il est favorisé par le caractère même de la nation ; et il y est plus dangereux qu’ailleurs, car une nation pauvre a plus besoin de travailleurs que de discoureurs. Dès l’année 1876, sur 2 634 étudians qui encombraient l’université d’Athènes, la moitié à peu près, 1 281, était pour les études de droit, 867 pour la médecine. Athènes est une grande fabrique d’avocats inutiles ou nuisibles. Un certain nombre d’étudians en médecine viennent compléter leurs études à Paris ou à Vienne ; après quoi, ils ne veulent plus s’enterrer dans un village, fût-il sur les flancs sacrés du Pinde ou du Parnasse[1].

Capo d’Istria, politique prévoyant, redoutait la trop soudaine et trop complète extension des connaissances modernes, surtout de l’instruction littéraire, dans un peuple ruiné, où l’agriculture, où l’industrie manquent de bras, où la rhétorique ne fut toujours que trop en honneur[2] ». Il prévoyait la poussée vers les carrières libérales et l’abandon des arts ; il s’opposait à la création d’un trop grand nombre d’établissemens d’instruction supérieure, dispensateurs de diplômes, et même à celle d’un trop grand nombre d’établissemens d’instruction secondaire ; il voulait multiplier les écoles pratiques et professionnelles : il voulait que la nouvelle Grèce vécût avant de philosopher. On sait comment des fanatiques mirent à mort cet « ennemi de la liberté et du progrès ». Aujourd’hui, tous les Grecs éclairés qui se préoccupent de l’avenir nous signalent les deux fléaux qui sévissent en Grèce : extension du fonctionnarisme et accroissement de l’armée des

  1. Voir, dans la Revue du 1er  mars 1887, l’étude de M. Émile Burnouf.
  2. L’agriculture, en Grèce, est restée rudimentaire, ainsi que l’industrie. Vainement on a de grandes forêts dans les montagnes : on ne sait pas les exploiter, et on fait venir les bois de charpente d’Autriche, de Prusse, d’Italie, d’Allemagne. En outre, les bergers grées prennent l’habitude d’incendier les forêts pour pouvoir y conduire leurs troupeaux. « Le gouvernement assiste impassible au flamboiement des forêts (Voir M. N. Politis, Revue de Sociologie, 1894.)