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maîtresse de piano, et celle de gouvernante, ou, comme on dit plus fréquemment aujourd’hui, d’institutrice dans une famille où il y a de jeunes enfans.

Un mot sur ces deux carrières.

Je ne saurais naturellement dire combien il y a dans Paris de maîtresses de piano. Mais j’en sais assez pour affirmer qu’il y en a trop, par rapport au nombre des élèves. La plupart de celles qui se destinent à cette carrière incertaine essayent d’abord d’entrer au Conservatoire. Il y a eu, aux derniers examens, 162 concurrentes pour 16 places vacantes. Le nombre de celles qui suivent aujourd’hui les différentes classes de piano s’élève à 66[1]. Celles-là sont les chanceuses. Ce n’est pas que le titre d’ancienne élève ou même d’ancien prix du Conservatoire soit toujours un gagne-pain. Mais, néanmoins, ce titre est une recommandation, non seulement pour obtenir des leçons en ville, mais encore pour devenir professeur de piano (le mot n’a pas encore de féminin) dans quelque couvent, pensionnat ou lycée de filles.

Ce n’est pas que ces situations soient très grassement rétribuées ; mais du moins elles assurent un traitement fixe. Avec ce traitement et quelques leçons particulières, la vie d’une maîtresse de piano est tolérable. Celles vraiment à plaindre, ce sont celles qui courent le cachet, et trottent de rue en rue, d’une leçon à l’autre. Sans parler de ce que le métier en lui-même a de pénible et de fatigant, il comporte en plus quelque chose de terrible : c’est le chômage annuel. Quand l’été arrive, les élèves se dispersent ; les leçons sont suspendues. La pauvre maîtresse de piano n’a plus rien à faire. Elle est tout heureuse, si, pendant ces longs mois d’été et d’automne, elle est engagée, un peu par charité, pour passer quelques semaines chez une élève dont on ne veut pas laisser se rouiller les doigts ou chez une vieille dame aimant la musique. Si rien de ce genre ne lui est offert, elle en est réduite à vivre, souvent à soutenir une vieille mère ou une jeune sœur, sur ses économies de l’hiver et du printemps, qui s’épuisent vite. Au mois d’octobre, la crise du loyer arrive ; elle est terrible. J’ai connu ainsi des situations navrantes, et je suis arrivé à cette

  1. On trouvera peut-être quelque intérêt à connaître le nombre exact des élèves femmes suivant les cours du Conservatoire. A la date du 1er mai, il y avait une élève à la classe de composition ; 20 à la classe d’harmonie ; 4 à la classe d’accompagnement ; 83 à la classe de solfège ; 66 à la classe de piano ; 21 à la classe de violon ; 4 à la classe de harpe ; 42 à la classe de chant.