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pas suffisamment médité cette vérité, dont le péril actuel de l’Espagne est encore venu démontrer l’évidence.

Ceci dit, puisque nous avons des colonies, beaucoup de colonies, encore faut-il qu’elles servent à quelque chose. Déjà elles ont servi, et il faut s’en réjouir, à réveiller en France l’esprit d’entreprise, à ranimer l’énergie latente de notre race, à susciter des hommes, et à montrer que le vieil esprit des La Salle, des Jacques Cartier, des Champlain, ces hardis explorateurs d’autrefois, n’est pas mort, comme on pouvait le craindre, avec le régime social et politique qui encourageait leurs audaces.

Mais cela n’est pas assez, et sur ce point les « coloniaux » ont raison. La période d’exploration ou de conquête une fois terminée, il faut que la période d’exploitation commence. Or, pour qu’une colonie prospère et se développe, il ne suffit pas qu’elle offre un débouché à ceux qui, dans les rangs pressés de notre vieille société, n’ont point réussi à se tailler une place, ou encore à ceux dont l’activité, l’ardeur, l’esprit d’entreprise ne saurait s’accommoder des molles et prosaïques conditions de notre vie moderne. Il faut encore qu’elle s’accroisse, sur place, par le développement normal de la population, c’est-à-dire par les mariages et les naissances. Or, il y a aux colonies peu de naissances et encore moins de mariages, et cela pour une bonne raison : nos colonies manquent de femmes. Quelques chiffres vont le prouver.

Ces chiffres ne sont pas absolument faciles à rassembler, et il est surprenant, alors que les questions de colonisation intéressent aujourd’hui tant de personnes, qu’il faille les chercher dans des documens épars et incomplets.

En Tunisie, la proportion des femmes par rapport aux hommes est assez satisfaisante : 7438 femmes et 8 769 hommes, soit 46 femmes et 54 hommes pour 100 habitans. Aussi la population française en Tunisie s’accroît-elle rapidement. Elle était de 10 030, à l’avant-dernier recensement quinquennal ; de 16 534, au dernier. Cet accroissement rapide est plus démonstratif que tous les raisonnemens. Malheureusement, la situation est toute différente dans les autres colonies.

A la Nouvelle-Calédonie, par exemple, la population masculine serait de 6 111, et la population féminine de 2 950 seulement. Il est vrai que ces chiffres sont très anciens, puisqu’ils remontent à 1887, et il est étrange que des renseignemens plus récens n’aient pas encore été publiés. On m’affirme que, la