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de plus en plus à s’engager dans une voie où la majorité de ses collègues refuserait de le suivre.


III

Si grave que fût la situation politique, Louis XVIII, toujours disposé à la voir par les yeux de Decazes, ne s’en était pas alarmé. Dans la relation de la crise ministérielle de décembre, qu’il a rédigée lui-même[1], éclate la confiance dont il restait encore animé à la fin de novembre, au moment où le duc de Richelieu rentrait à Paris. Quoique ce tableau, signé du Roi, eût pu l’être par Decazes et que Decazes apparaisse parfois enclin à l’optimisme, il s’en fallait de bien peu qu’il ne fût rigoureusement exact. Le peintre n’avait eu que le tort de ne pas tenir assez de compte des changemens que menaçaient d’y apporter les intrigues parlementaires et la malveillance des partis. Avec le régime du gouvernement des Chambres, il faut toujours prévoir des incidens et s’attendre à des surprises. C’est à coup de surprises et d’incidens que la situation telle que la dépeignait le Roi allait être radicalement transformée. En l’absence de Richelieu, un rapprochement s’était opéré entre les ultras et quelques ministériels des deux Chambres. Molé s’était chargé d’y préparer Richelieu. Celui-ci, à son retour, ne désapprouva rien de ce qui avait été fait et parut disposé à en profiter.

Louis XVIII, dans le récit qui me sert de guide, ne cache ni la stupéfaction, ni la colère qu’il ressentit en découvrant à l’improviste, par un avertissement du chancelier Dambray, confirmé bientôt par l’indiscrétion de M. de Brézé, l’existence de cette réunion, qui s’était formée à son insu, et à l’insu de Decazes, et se tenait chez le cardinal de Bausset, ami intime de Richelieu, ce qui démontrait la participation de ce dernier à cette intrigue. Une nouvelle loi électorale substituant au renouvellement partiel de la Chambre des députés le renouvellement intégral tous les cinq ans et une loi limitant la liberté de la presse devaient être les résultats immédiats de ce nouveau groupement des partis. De plus, afin que le Roi ne pût se méprendre sur les dispositions des deux Chambres, tout était combiné pour que, dans la Chambre des

  1. J’en ai retrouvé l’original dans les archives de la Grave. Il ne diffère que sur des points sans importance de la copie qu’en donne Lamartine dans son Histoire de la Restauration. Je ne juge donc pas nécessaire de la reproduire.