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Roi prit enfin la parole, et, s’appropriant la proposition de Lainé, qui se rapprochait le plus de celle de Decazes :

— Plantons notre drapeau sur l’ordonnance du 5 septembre 1816, dit-il ; continuons à suivre la ligne qui nous a réussi jusqu’à présent. Tendons toujours la main à droite et à gauche en disant avec César : « Celui qui n’est pas contre moi est pour moi. »

On se sépara sans avoir conclu, et Louis XVIII fut tenté de croire que c’en était fait des dissensions ministérielles ; mais, dès le lendemain, il dut reconnaître qu’il s’était trompé. Leur tactique ayant brillamment réussi à la Chambre des Pairs, les ultra-royalistes en essayèrent à la Chambre des députés, d’autant plus confians dans le succès, qu’ils venaient de porter à la présidence de cette Chambre un candidat de leur choix. Ils n’en eurent pas moins la douleur de voir leurs calculs déjoués. De leurs candidats à la vice-présidence, un seul fut élu. Quant aux secrétaires, ils appartenaient tous au centre ministériel. Parmi eux, se trouvait le comte de Sainte-Aulaire, beau-père de Decazes. Cette élection seule eût suffi à démontrer que ce dernier n’avait pas perdu toute influence sur la Chambre des députés. Cet incident fut le signal de la débâcle ministérielle. Richelieu se présenta chez le Roi et lui par la avec amertume de Decazes, « l’accusant à peu près d’avoir été l’âme de ces choix ». Le Roi comprit alors qu’il fallait choisir entre les deux camps qui s’étaient formés dans le cabinet et, redoutant d’être contraint de recourir au prince de Talleyrand, il se détermina, quelle que fût son affection pour Decazes, « à tout immoler à l’avantage de conserver le duc de Richelieu ». Mais, vingt-quatre heures plus tard, le président du Conseil, quoique averti de ses intentions, lui faisait tenir sa démission, que suivirent aussitôt celles de Molé et de Lainé. Le lendemain, Decazes et Pasquier, après s’être concertés, envoyaient à leur tour la leur.

« Rien au monde, disait Decazes, ne pourrait m’engager à rester un instant au ministère après le duc de Richelieu. Votre Majesté, qui connaît ma résolution à cet égard, a bien voulu l’approuver. Je le dois d’autant plus que la divergence d’opinions sur quelques points, ou plutôt sur un point, entre le duc de Richelieu et moi a seule pu causer cette détermination… Je dois l’exécuter aujourd’hui et ne pas priver le Roi des services de M. le duc de Richelieu, bien sûr que Votre Majesté est certaine, et aussi M. le