Page:Revue des Deux Mondes - 1898 - tome 147.djvu/868

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

toute l’Europe centrale ; en 1277, une vache vaut 35 francs à Genève, comme à Londres, dans le Maine ou en Artois.

Nous ne pouvons du reste tirer aucune conclusion du prix des bestiaux sur pied, parce qu’ils ne ressemblent en rien aux nôtres. Ces bestiaux du moyen âge n’ont de porcs, de moutons et de bœufs que le nom. Beaucoup sont des animaux à demi sauvages, n’ayant que la peau sur les os et traînant, à travers les landes, une existence dépourvue de tout engraissement. Pour ceux mêmes que l’on nomme « gras », par comparaison, cette épithète est très relative. Un seigneur de Basse-Normandie, le sire de Gouberville, consigne dans son journal (1555) que, tel jour, il est allé « à la forêt voir ses bêtes qu’il ne trouva point ». Il aperçut seulement « le taureau qui clochait, que l’on n’avait point vu depuis deux mois ». Le système agricole pratiqué par la France du moyen âge était peut-être propice à la reproduction, à la pullulation du bétail, il l’était très peu au développement, à l’épaississement de chaque bête.

Les innombrables quadrupèdes lâchés dans la vaine pâture ont de quoi subsister tout juste, de quoi vivre et grandir ; ils ont rarement de quoi prospérer. Un bœuf, pompeusement offert à Charles-Quint par la ville de Malines, est regardé comme un vrai phénomène parce qu’il pèse un millier de kilos. De pareils sujets sont ordinaires dans nos concours régionaux, et il en est chaque mois, à l’abattoir de la Villette, dont le poids vif est moitié plus fort. Un traité d’économie rurale du XIIIe siècle évalue le produit d’une vache bien nourrie à 93 deniers pour les six mois d’été (15 avril au 15 octobre) et à 10 deniers seulement pour les six autres mois, c’est-à-dire à neuf fois moins.

Ce rendement intermittent montre que les vaches d’autrefois ne produisaient rien, ou très peu de chose de plus que rien, pendant la moitié de l’année. Tout ce qu’elles pouvaient paître, pendant la saison morte, les empêchait seulement de mourir. Encore l’auteur de cette féodale « Maison rustique » prend-il soin de nous avertir que, pour arriver à ce piètre résultat d’une demi-année, envisagé par lui comme un maximum, la vache doit être, du printemps à l’automne, dans un bon pâturage ; que, s’il s’agit de bêtes nourries dans les bois, les prés fauchés ou les champs moissonnés, il en faudra trois pour donner la même quantité de lait. Or, la grande majorité de l’espèce bovine se contente de ce modeste ordinaire et ne fournit, lorsqu’elle fournit quelque chose,