Page:Revue des Deux Mondes - 1898 - tome 147.djvu/961

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

jusqu’à y mettre ordre. Peut-être le roi Milan est l’un de ces hommes qui se laissent emporter par leur zèle, et qui exagèrent. Alors, ils deviennent gênans et on les désavoue, à moins qu’on ne se contente de les désapprouver. Quoi qu’il en soit, on a besoin de se rappeler de temps en temps qu’il existe une sorte d’entente entre l’empereur François-Joseph et l’empereur Nicolas pour maintenir le statu quo dans les Balkans ; mais, quand cette entente a été faite, le roi Milan n’était pas à Belgrade, et son absence pouvait être considérée comme faisant partie du statu quo.

Comment s’expliquer que le roi Milan se donne tant d’agitation et s’empare du gouvernement avec tant d’énergie, s’il n’a pas quelque pensée de derrière la tête, pensée encore inconnue ? Il a commencé par se faire nommer généralissime de l’armée serbe. Il avait déjà rempli ces fonctions comme roi, et n’en était pas sorti tout à fait à son avantage ; mais il ne s’agit pas, cette fois, d’une guerre contre l’étranger ; c’est en Serbie même et à l’égard de ses sujets que Milan fait montre de ses aptitudes militaires. Ainsi, le jour des élections, le 4 juin dernier, il avait consigné les troupes dans les casernes et leur avait fait distribuer des cartouches. Que craignait-il donc ? Peu de chose, sans doute ; le peuple serbe a déjà donné des preuves de sa soumission à la volonté royale ; il fallait seulement exercer sur le corps électoral une pression capable de l’intimider, pour obtenir de lui ce qu’on en attendait, ou plutôt ce qu’on en voulait. S’il y a un fait incontestable et généralement incontesté, c’est qu’aujourd’hui, la grande majorité du pays est radicale, et le radicalisme déplaît au roi. Inutile de dire que le mot de radical n’a pas, en Serbie, la même signification qu’en France, non plus d’ailleurs que le mot de libéral. Libéral, en effet signifie conservateur et réactionnaire ; c’est l’ancien parti gouvernemental. Ses sympathies extérieures sont pour l’Autriche. Radical veut plutôt dire libéral : c’est un parti nouveau, qui est né de l’opposition tous les jours croissante contre le roi Milan, lorsque celui-ci en était encore à sa première manière, c’est-à-dire avant son abdication. Les sympathies des radicaux sont pour la Russie. Entre ces deux partis, Milan en avait formé lui-même un troisième, celui des progressistes : on peut juger par cette origine qu’ils ne méritaient pas beaucoup leur nom et qu’ils auraient pu tout aussi bien en prendre un autre. Le parti progressiste, étant la création personnelle du Roi, avait naturellement disparu après son départ : il a reparu non moins naturellement après son retour. Les radicaux avaient envahi la Skoupchtina, où ils étaient comme de juste en majorité considérable ; il