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Hongrie ont cet intérêt commun ; elles sont unies devant la menace et dans la peur du Slave : si ce n’est pas tout le secret de la fidélité de la Hongrie au pacte solennel qui la lie à l’Autriche, s’il y en a plusieurs raisons politiques et économiques, c’est du moins tout le secret de ses tendances germanophiles, et l’Allemand est l’ami pour elle, ayant avec, elle un même ennemi, le Slave.

Voilà donc la Hongrie pleinement rendue à elle-même ; plus de Pragmatique Sanction, plus de Compromis, plus de Habsbourg qui porte les deux couronnes, plus d’union, même personnelle, en qui et sous qui que ce soit. L’Autriche, à part, va où elle veut ; la Hongrie, à part, où elle veut : elles se sont quittées, elles ne se connaissent plus. Au lendemain de la séparation, quelle est la situation de la Hongrie, la situation intérieure de l’État magyar ? Les Magyars sont 7 500 000 ; ils ont, à côté d’eux, sur leur propre territoire, 2 120 000 Allemands ; en face d’eux, 2 050 000 Slovaques, 2 700 000 Croates et Serbes, 390 000 Ruthènes, 95 000 Slovènes, en tout, 5 235 000 Slaves. Si l’on y ajoute les 1 500 000 Croates et Serbes de Bosnie, qui sont dans le voisinage immédiat et forment comme une arrière-garde ou une réserve au-delà de la Save, c’est, au total, les 6 735 000 Slaves de Transleithanie, — sans parler de 2 722 000 Roumains, qui ne sont pas des Slaves, mais, autant que des Slaves, farouches anti-Magyars. — Plus loin, et en seconde ligne, appuyant ces populations, ces nations slaves et leur réserves mêmes, hostiles d’une égale hostilité, le Monténégro, la Serbie, la Bulgarie, États slaves ; le royaume de Roumanie, prêt en secret, quand il le pourra, à épouser la querelle des Roumains épars en Transylvanie, ses irredenti, ses « irrachetés ». Et par-dessus, lourde, écrasante, tombant de haut, montant du fond de deux continens, l’ombre énorme de la Russie, l’ombre du monde slave tout entier. Deux millions de Monténégrins, 2 millions et demi de Serbes, 3 millions et demi de Bulgares : encore 8 millions de Slaves, qui, avec les autres, font 15 millions. Contre ces 15 millions de Slaves du dedans et du dehors qui la minent ou qui l’enserrent, que serait, détachée de l’Autriche et isolée, la Hongrie magyare, de moitié moins peuplée ? Sans mettre en doute, comme le font quelques intéressés, la fécondité de la race, celle des peuples slaves, leur puissance d’accroissement n’est certainement pas moindre et serait plutôt supérieure ; de telle sorte que l’écart ne sera pas comblé, mais s’accuserait et augmenterait plutôt.