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venir au Conseil mercredi. Ainsi, je t’ordonne comme Roi et je te conjure comme père de ne pas songer à venir demain de toute la journée. » Un autre jour, il apprend par Pasquier que quelques royalistes ont exprimé le désir de voir Lainé être mis, à défaut de Richelieu, à la tête du Conseil : « J’ai vu Pasquier. Il m’a rendu compte de la nouvelle démarche qui va être faite auprès de Lainé. J’ai écouté tout cela avec une impassibilité apparente, bien démentie par les mouvemens de mon cœur. Je pensais comme toi sur le duc-de Richelieu. Mais, pour Lainé, c’est une autre affaire. L’orgueil donne tant de hardiesse ! J’avoue que j’aurais pu supporter de voir mon Élie remplacé par un Richelieu ; mais, par un Lainé ! Cela me fait éprouver le tourment du lion devenu vieux. »

Le 14 janvier, un débat s’engage à la Chambre des députés sur des pétitions contre la réforme électorale. La Gauche en demande le renvoi au gouvernement ; le ministère réclame l’ordre du jour. Decazes et de Serre sont absens, alités tous les deux. Pasquier est seul pour répondre. Malgré ses efforts, il ne peut, après une longue discussion, obtenir la clôture. La Chambre s’ajourne au lendemain. L’ordre du jour est alors voté. Mais ce n’est que grâce à l’intervention de Villèle et de Lainé.

« J’ai trouvé, mon cher fils, la majorité bien petite. Pasquier prétend qu’il en manquait dix ou douze de notre côté. Tant mieux. Sed quid hæc inter tantos ? J’ai été content, d’après les extraits, de Pasquier et de Lainé. Villèle a bien parlé… pour la question du moment. Le résultat apprend, il est vrai, aux ultras qu’ils ne peuvent se passer de nous. Mais il leur fait voir aussi que nous ne pouvons nous passer d’eux et une pareille défaite doit bien rehausser le courage de la Gauche. »

Quoique penchant maintenant à droite, Decazes ne perd de vue aucune des promesses qu’il a faites de l’autre côté. Il s’est engagé à rappeler jusqu’au dernier des derniers bannis. L’un d’eux, le général Gilly, compromis pendant les Gent-Jours, attend, caché dans un coin perdu des Cévennes, les effets de la clémence royale. Pour arracher au Roi une décision sans cesse retardée, Decazes emploie le Duc d’Angoulême et le Roi cède à la prière de son neveu : « Ton mal de tête, cher fils, en fait au cœur de ton père. Je ne suppose pas que cela doive empêcher le Conseil de demain. Si je me trompais, fais-le-moi savoir avant neuf heures… Grâce à Gilly. Qu’il la doive tout entière au Duc d’Angoulême. Je crois que je pourrai signer demain. Je t’aime. »