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repos. A la Chambre des députés, Clausel de Coussergues reprenait sa motion de la veille. Comme la veille, elle était accueillie par une explosion d’indignation générale. On pouvait cependant remarquer qu’il n’y avait plus unanimité pour la repousser. Pas plus que la veille, Decazes n’était présent, et ses collègues persistaient dans leur silence. C’est son beau-père, le comte de Sainte-Aulaire, qui répondait à Clausel de Coussergues : « Vous êtes un calomniateur. « D’autre part, dès le matin du 15, le préfet de police lui signalait l’agitation des gardes du corps qui se réunissaient au café de Valois. Leurs propos étaient menaçans, trahissaient une haine ardente et des desseins d’une rare violence. Quelques heures plus tard, un avis analogue lui arrivait sous une forme encore plus intimidante. Il avait été décidé que les ministres se rendraient auprès de Monsieur pour lui présenter leurs complimens de condoléance. Empêché par une circonstance toute fortuite de se joindre à eux, et le marquis de la Tour-Maubourg, ministre de la Guerre, se trouvant dans le même cas, Decazes avait pris rendez-vous avec lui pour faire ensemble cette visite d’étiquette.

« A trois heures, raconte-t-il, je me disposais à me rendre au pavillon de Marsan et j’attendais mon collègue de la Guerre, qui était rentré un moment à son ministère pour signer les ordres destinés aux généraux commandant les divisions militaires, lorsque le général Alexandre d’Ambrugeac, ami du comte de Bruges et mon intermédiaire habituel avec cet aide de camp de Monsieur, entra dans mon cabinet pendant que je signais moi-même mes dépêches pour les départemens. M. de Bruges l’avait chargé, me dit-il, de me remercier de n’avoir pas accompagné mes collègues à l’audience de Son Altesse Royale ; il avait reconnu dans cette abstention ma prudence dont il se réjouissait, d’autant plus qu’il était persuadé que je ne serais pas sorti vivant de la salle des gardes du prince, tant l’irritation des gardes du corps était grande. Pour toute réponse, je sonnai et demandai qu’on fît avancer ma voiture, attelée depuis plusieurs heures.

« — Accordez-moi quelques instans, me dit le général d’Ambrugeac ; j’ai beaucoup de choses à vous raconter.

« Le ministre de la Guerre étant entré en ce moment, je dis au général :

« — Je ne peux vous écouter. Nous nous rendons auprès de Monsieur, ce que nous avons été empêchés de faire avec nos collègues, parce que nous étions à la Chambre des Pairs.