Page:Revue des Deux Mondes - 1898 - tome 148.djvu/397

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

méritait pas ces reproches. Quand il sut que le Roi s’était offensé de le voir s’associer par sa présence et par son silence à la démarche de son père et de sa femme, il vint spontanément protester de son estime et de son attachement pour Decazes. Cette explication loyale et sincère lui rendit le cœur du Roi. « Hier soir, j’ai éprouvé quelque douceur à appeler le Duc d’Angoulême mon fils. Cela ne m’était pas arrivé depuis samedi. »

Cependant, la promesse faite par le Roi à son frère, dans la matinée du 18 février, de sacrifier Decazes à Richelieu ne changeait rien aux dispositions de celui-ci. Aux offres pressantes qui lui étaient faites au nom du Comte d’Artois, il continuait à opposer l’invincible répugnance que lui inspirait le pouvoir. Son refus jetait le désarroi parmi les ultra-royalistes. Ils avaient cru tenir la victoire et s’en étaient déjà réjouis. À la pensée qu’ils s’étaient flattés d’un vain espoir et trop hâtés de triompher, leur fureur reprenait toute sa violence. Elle n’avait d’égales que leurs craintes. Decazes redevenu nécessaire et partant consolidé, décidant le Roi à renoncer à la réforme électorale, s’assurant à ce prix le concours de la Gauche, telle était la perspective qui s’offrait à eux à la faveur des rumeurs contradictoires dont, pendant vingt-quatre heures, dut se payer leur impatience. Quelques-uns, à défaut de Richelieu, mettaient en avant le nom de Talleyrand, qu’ils méprisaient, quoique depuis sa chute il se fût rapproché d’eux. Soutenu par Molé, Talleyrand se faisait fort, avec sa jactance accoutumée, de constituer un ministère dans lequel Villèle aurait eu sa place, combinaison irréalisable et que, d’ailleurs, Villèle s’empressait de repousser, la considérant « comme une œuvre de fous. » Au milieu de cette agitation, un peu d’espoir rentrait dans le cœur du Roi. Si faible que fût cet espoir, un billet écrit le 19 février le laisse transpirer : « Que dis-tu donc de m’engager dans les lacs des ultras ? Ils ne me tiennent pas. Je n’espère pas grand’chose de la visite au duc de Richelieu. Mais qui sait ce qui peut arriver si nous vainquons à la Chambre des Pairs ? Tu me feras savoir ce que tu espères de ce côté. »

La visite à laquelle le Roi faisait allusion — visite de Monsieur au duc de Richelieu — était la dernière carte des ultra-royalistes. Ce qu’il y a de plus piquant, c’est qu’elle avait été conseillée au Comte d’Artois par Decazes lui-même. À bout de ressources, Monsieur s’était décidé à faire appel au dévouement et à la loyauté de l’homme que, depuis plus de trois ans, ses amis et lui