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de Richelieu (1631) l’un de ses diocésains, inventeur d’un pain « mangeable, disait-il, par les soldats, les serviteurs de basse famille, et par toute sorte de gens en temps de nécessité, » contenant un tiers moins de farine que le pain commun et dont « la matière se trouve en tous pays. » Il faut se hâter d’acheter son secret, concluait le prélat, « car il pourrait le vendre au roi d’Espagne. » J’ignore si ce novateur fit en effet marché avec l’étranger, mais nos compatriotes n’avaient pas besoin de cette découverte pour manger de mauvais pain. Le journal d’Hérouard conte qu’au Dauphin — plus tard Louis XIII — était souvent servi du pain bis, qu’une fois entre autres, il le jeta « parce qu’il était pourri. » Circonstance fortuite sur une table royale ; mais le pain rassis devait être d’une consommation courante, puisqu’en beaucoup de maisons bourgeoises, on ne chauffait le four qu’une fois par mois. Les montagnards du Dauphiné cuisaient leur pâte en octobre, pour tout l’hiver ; aussi devenait-elle si dure qu’il fallait la couper à la hache, comme du bois.


II

Le blé, le pain, sont choses si respectables que l’échevinage ne s’en occupe jamais trop : le grain arrive-t-il sur le marché, défense d’ouvrir les sacs avant l’heure fixée ; tout acheteur doit justifier que ses emplettes ont pour but exclusif sa propre consommation : défense d’acheter pour revendre ni d’absorber plus d’une quantité déterminée. Toute infraction est punie du fouet, d’amende ou de prison. Au meunier, ordre exprès de rendre tant de boisseaux de farine pour tant de blé ; au boulanger, ordre de fabriquer ses pains de tel poids, de les faire marquer et poinçonner avant de les mettre en vente, et parfois de ne les vendre qu’en un lieu unique ; aux boulangères, injonction de se bien tenir, « de ne filer ni faire autre acte immonde en débitant leur pain. » L’année a-t-elle été bonne ? Permission du maire « de faire à volonté des beignets de farine à l’huile, attendu la vileté du blé. » La récolte est-elle mauvaise ? Ordre aux mitrons « de laisser de côté les brioches et gâteaux. » de renoncer aussi au « pain mollet » — pain blanc à croûte dorée — et de ne plus faire que du pain bis ou noir.

On a maintes fois cité le mot du Duc d’Orléans, qui déposa un jour sur la table du Conseil, devant Louis XV, un pain sans