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IV

Tel est, par exemple, le poisson, dont le développement des transports a modifié la qualité : si l’on excepte une étroite bande de terrain dans le voisinage immédiat des côtes, on ne connaissait d’autre poisson frais que celui d’eau douce. Dans les marchés passés pour la fourniture des princes et grands seigneurs, il était stipulé toujours que le pourvoyeur « ne devrait livrer aucun poisson mort, dans les localités sises sur une rivière ; » d’où l’on peut induire que, faute d’un étang ou d’un fleuve à proximité de leur résidence, des personnages très délicats se contentaient de poisson salé. Si tous les émules de Vatel avaient été piqués d’un amour-propre égal au sien, la race glorieuse des « écuyers de cuisine » n’eut pas tardé à disparaître, victime de son désespoir, parce que les arrivages de marée ne pouvaient être ni très bons, ni très sûrs.

L’écart entre le prix des poissons frais et salés demeurait considérable, aux temps modernes : un saumon de 0m, 80 de longueur se vendait à Paris, sous Mazarin, 40 francs, s’il était frais, 8 francs seulement, s’il était salé. Cent ans plus tard, un saumon de même taille, servi sur la table de Marie Leczinska, se payait encore 8 francs, à l’état salé, et ne valait plus que 28 francs, à l’état frais. La question du transport dominait si bien toute cette branche de commerce que les huîtres, conservées ou marinées, descendaient, au XVIIe siècle, jusqu’à 0 fr. 30 le cent, tandis que les huîtres en écailles, de moyenne grosseur, se vendaient au moins 3 francs. Quant aux huîtres vertes de Marennes, recherchées par les gourmets et seules admises à l’honneur de la table royale, elles revenaient à 17 francs le cent dans Paris.

En 1789, le kilo de carpes, perches ou brochets se payait 1 fr. 15, le kilo de bœuf, 0 fr. 66 seulement ; rapport aujourd’hui totalement changé. La viande de boucherie vaut beaucoup plus, à poids égal, que le poisson d’eau douce et même que le poisson de mer, à l’exception des espèces de luxe, enchéries le long des côtes, diminuées à l’intérieur. Le kilo de sole ou de turbot valait, au siècle dernier, 0fr. 70 à Brest ; il coûtait 5 francs à Paris où, de nos jours, son prix moyen ressort à 2 fr. 50, peu différent sur le carreau des Halles de ce qu’il est dans le port d’expédition. Et si l’on envisage seulement les sortes communes, raies