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beaux-arts. Quelles lumières l’histoire littéraire n’est-elle pas destinée à recevoir de l’anthropologie ? Hier encore, une revue choisissait pour sujet d’une interview circulaire une enquête sur le sens précis des mots « esprit français, race française, âme française, » dont il paraît que la fréquente répétition trouble beaucoup d’intelligences et jette les gens dans de cruelles incertitudes. « Ces incertitudes, était-il dit dans le questionnaire, provoquées en dehors des aspirations et des angoisses patriotiques (et par cela même concrètes et facilement compréhensibles), restent uniquement réservées au domaine de la pensée littéraire. Comment distinguer un auteur de race française pure d’un autre écrivain qui écrit un français aussi pur, sinon plus correct, tout en n’ayant pas l’honneur d’être né sur le sol de notre pays ? » Vingt-sept écrivains ont compris ce pathos, puisqu’ils y ont répondu. Ils ont inventorié les traits de l’esprit français ; ce qui prouve bien qu’il existe. M. Paul Bourget a presque seul manqué à fournir une définition congruente ; d’ailleurs il ne croit pas à la réalité de ces formules si générales : l’esprit français, l’esprit anglo-saxon. M. Zola y croit. Et nous voilà replongés de plus belle dans ces incertitudes dont on prétendait nous tirer. « Nous sommes des Latins, je le répète, et c’est là la grande famille à opposer aux familles du septentrion. » Telle est la démarcation nettement tranchée qu’établit l’historien des Rougon-Macquart, avec son habituelle décision et sans s’arrêter aux difficultés de détail. Il y a le Nord en haut, le Midi en bas, et ce qui appartient au Nord ne saurait se rencontrer dans le Midi. Sur les choses septentrionales nous sommes amplement documentés, et depuis tantôt vingt ans qu’on catalogue pour nous toutes les variétés de l’âme polaire, nous ne sommes plus en risque de prendre ni la Suédoise pour la Norvégienne, ni la Petite Russienne pour la Finlandaise. Il est temps qu’on nous renseigne avec la même abondance et la même minutie sur les races latines, dont on convient que nous faisons partie. C’est pourquoi un roman de mœurs napolitaines ne pouvait venir plus à propos.

Ce roman que Mme Matilde Serao intitule Au pays de Cocagne[1], et dont on vient de nous donner une bonne traduction, est des plus remarquables. Il faut louer d’abord le talent dont y fait preuve Mme Serao et la maîtrise avec laquelle elle y applique des procédés, qu’au surplus elle a bien pu apprendre à l’école de nos romanciers. Elle sait conter et elle sait peindre. Ses personnages vivent. Grands seigneurs ruinés, commerçans dont les affaires s’embarrassent, usuriers, escrocs,

  1. Au pays de Cocagne, par Mme Matilde Serao, 1 vol. in-12, chez Plon.