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REVUE MUSICALE

Théâtre de l’Opéra : La Cloche du Rhin, drame lyrique en trois actes, livret de MM. Montorgueil et Gheusi, musique de M. Samuel Rousseau. — Théâtre de l’Opéra-Comique : La Vie de Bohême, comédie lyrique en quatre actes, de MM. Giacosa et Illica, d’après le roman d’Henri Murger, version française de M. Paul Ferrier ; musique de M. Giacomo Puccini.


Le dernier livre du comte Tolstoï : Qu’est-ce que l’art ? commence par des pages qui ne sont point à lire avant une répétition d’opéra. Consacrées au récit de cet exercice, elles en étalent, avec une paradoxale, mais contagieuse ironie, la misère ou le néant. L’opéra que vit répéter le comte Tolstoï se passait aux Indes. L’action de la Cloche du Rhin nous reporte à l’époque de l’avènement du christianisme en Germanie. Mais, à l’Opéra, tous les peuples sont frères et, pendant la répétition de la Cloche, nous avons plus d’une fois pensé de ces Germains ce que pensa le grand écrivain russe des Indiens qu’il vit manœuvrer sur la scène : « Jamais il n’y a eu, jamais il n’y aura d’Indiens de cette espèce. Il était trop certain aussi que ce qu’ils faisaient et disaient, non seulement n’avait rien à voir avec les mœurs indiennes, mais n’avait rien à voir avec aucunes mœurs humaines, sauf celles des opéras. Car enfin jamais, dans la vie, les hommes ne parlent en récitatifs, jamais ils ne se placent à des distances régulières et n’agitent leurs bras en cadence pour exprimer leurs émotions ; jamais personne, dans la vie, ne se fâche, ne se désole, ne rit ni ne pleure comme on faisait dans cette pièce. Et que personne au monde n’ait jamais pu être ému par une pièce comme celle-là, cela encore était hors de doute. »

Tout cela nous revenait à l’esprit. Ayant lu ces pages le matin, le soir une répétition d’opéra nous paraissait un vain simulacre. A quoi