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de guerriers aux longs cheveux, aux bras nus cerclés de fer ; plus de burg ni de burgraves, de prophétesses ni de processions ; plus de boucliers ni de lances, de bric-à-brac ni de ferblanterie. En cet opéra, des choses simples et, s’il se pouvait, aimables, — ce qui n’empêcherait pas qu’elles fussent profondes, — seraient exprimées par des paroles choisies, que les artistes prononceraient, que le public pourrait entendre ; par des chants, simples aussi, qui ne seraient jamais des cris, et que de fines harmonies, un orchestre sobre, accompagneraient délicatement.

Il y a dans la Cloche du Rhin au moins deux chants de cette espèce. L’un, chanté par Konrad à Hervine, est beaucoup plus qu’un leitmotiv de quelques notes : une longue et belle période musicale ; mélodie, air ou romance, — lequel choisir entre tant de mots disqualifiés aujourd’hui ? — quelque chose enfin d’élégant, de tendre, d’abondant aussi, que soutient légèrement un orchestre divisé, complexe, mais harmonieux. L’autre page, que je crois la plus haute et la plus poétique inspiration de l’ouvrage, est le dernier duo de Konrad mourant et d’Hervine morte. Je l’aime, ce duo, parce que la mélodie en est large, libre, sans banalité, avec, de temps en temps, un accent et comme une morsure qui l’avive ; je l’aime aussi, non seulement parce qu’il est très purement écrit dans le style ou la forme particulière du canon, c’est-à-dire pour deux voix qui se suivent et se font écho l’une à l’autre ; mais parce que cette forme est ici de l’effet le plus convenable et le plus heureux. La voix d’Hervine, chantant la première, attire la voix de Konrad, et la voix de Konrad s’approche de celle d’Hervine, l’imite et s’efforce de la rejoindre. Ainsi les deux voix sont dans le même rapport que les deux personnages ou que les deux âmes, et par cette correspondance profonde la figure sonore se trouve non seulement justifiée, mais embellie.

Ce musicien éclectique est aussi un musicien dramatique. Il a le sens et le don de l’action et du mouvement. Il a su non seulement fonder sur un rythme rigoureux et constant, mais composer, distribuer et surtout animer d’une vie intense et qui s’accroît jusqu’au bout, un très beau finale d’opéra, celui du second acte. Il a su, dans le beau duo de Konrad et d’Hervine, exprimer par un seul cri pathétique et puissant : Chantez, chantez, mes sœurs ! le péril et le salut de la vierge un moment égarée, mais se retrouvant et se reprenant elle-même au son lointain des cantiques.

Avant de s’affirmer à l’Opéra, le tempérament dramatique de M. Samuel Rousseau s’était révélé même à l’église. Un jour de Noël