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plus précis. On allait enfin sortir de la ouate. Quelle illusion ! Les mœurs littéraires survivent quelque temps encore aux circonstances qui les ont fait naître et les ont entretenues. Il y a aujourd’hui deux partis dans la république : le parti socialiste qui, pris dans sa masse, aime mieux s’appeler radical, et le parti modéré qui aime mieux s’appeler progressiste. Leurs tendances sont différentes, mais leur langage est le même. Lorsque le parti radical-socialiste arrive au pouvoir, il balbutie le programme modéré ; et lorsque c’est le tour du parti modéré-progressiste, il éprouve le besoin de se mettre un panache tirant sur le rouge, sans réaliser pourtant cette couleur dans tout son éclat. Chaque parti fait la politique de l’autre. Si M. Brisson avait été lui-même, et s’était montré tel quel, il n’aurait certainement pas eu 86 voix de majorité. Cela veut-il dire que les hommes du Centre se laissent tromper aux apparences qu’on leur montre ? Non, certes. Ils savent fort bien à quoi s’en tenir sur la réalité des choses et sur la qualité des personnes. Mais ils se contentent des dehors. C’est un jeu qu’ils jouent, et qu’on joue avec eux. Les augures en rient. Le pays en est dupe : le sera-t-il toujours ?

Le programme radical, au cours des élections dernières, se composait, à côté des fioritures accessoires, d’un article essentiel qui était l’impôt global et progressif sur le revenu. C’est avec ces deux adjectifs joints qu’un nombre notable de candidats ont remporté la victoire. Nous mettons de côté les équivoques qu’ils ont très déloyalement présentées aux électeurs. Ils ont laissé, ou plutôt ils ont fait croire que les contribuables qui n’avaient pas un certain chiffre de revenu net ne paieraient plus d’impôts du tout. Le chiffre adopté était généralement 2 500 francs : toutefois il variait suivant les régions. Mais c’est la partie empirique et grossière de la proposition, et ce n’est pas celle qui aujourd’hui mérite le plus d’être retenue. Il peut y avoir diverses manières d’établir l’impôt sur le ou les revenus, et il n’est pas impossible de s’entendre à ce sujet entre esprits libéraux ; mais les radicaux se sont eux-mêmes assujettis à un système unique, en proclamant que cet impôt serait global et qu’il serait progressif.

Vilain mot, au point de vue de la langue, que celui de global ! M. Doumer, auquel on l’attribuait, ne manquait jamais une occasion de le répudier : pourtant il a prévalu. Il signifie qu’on prend le revenu dans son ensemble, dans sa totalité, en vue de lui imposer une taxe qui ne fait aucune distinction entre les revenus divers, et par exemple entre ceux du capital et ceux du travail. Monstrueuse iniquité, sans aucun doute ! Elle est encore aggravée par le fait que le revenu d’en-