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grave erreur. La France n’a, à aucune époque, possédé un pareil privilège ; celui qui lui est légitimement acquis s’étend exclusivement aux établissemens latins. En l804, elle s’est unie à l’Angleterre pour contenir la Russie qui prétendait être fondée à protéger tous ses coreligionnaires de l’empire ottoman, et cependant le traité de Kaïnardji lui en fournissait un prétexte plausible ; la Porte s’y engageait en effet à protéger, dans ses États, la religion chrétienne et les églises ; cette disposition, disait-on à Saint-Pétersbourg, conférait certainement à la Russie un droit de surveillance. La guerre sortit de ce conflit diplomatique, et, au traité de Paris, les plénipotentiaires du tsar durent renoncer à toute revendication de cette nature. Ce qui est vrai, ce que l’on conçoit et ce qui se pratique depuis de longues années, c’est que la France, comme toutes les autres puissances, use de son influence, par voie de conseil et à titre officieux, pour ramener le gouvernement ottoman à une plus juste conception de son propre intérêt, quand les circonstances l’exigent. On s’abuse donc, quand on soutient que la France est atteinte dans son droit et qu’elle a le devoir de défendre tous les sujets chrétiens du sultan, dès que sévit contre eux la haine des musulmans, avec ou sans l’assentiment du souverain.


III

Mais revenons aux négociations ouvertes à Constantinople. La France, l’Angleterre et la Russie avaient remis, avons-nous dit, à leurs représentans dans cette capitale, le soin de préparer un programme de réformes propres à garantir les chrétiens contre de nouveaux excès. Grâce à leur parfaite connaissance de l’état des choses en Turquie, acquise sur les lieux, ces agens étaient en situation de justifier la confiance de leurs gouvernemens. Ils ne se dissimulaient cependant aucune des difficultés qu’ils avaient à surmonter. Ils savaient que tous les efforts, tentés antérieurement, avaient échoué devant la répugnance et la force d’inertie de la Porte ; que, pour la déterminer à entrer dans des voies nouvelles, il convenait de vaincre cette incurable disposition en lui offrant un arrangement qui, sans trop blesser son orgueil, n’offensât pas, directement, le fanatisme de ses sujets musulmans. Dès le mois de mars 1895, les trois ambassadeurs tinrent des conférences pour s’entendre et rédiger le plan de réformes