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confié à leurs lumières. A l’aide de transactions, et après de longues délibérations, ils parvinrent à tourner les difficultés de leur tâche en élaborant un projet qui se bornait à recommander un ensemble de mesures administratives. Le 19 avril, M. Cambon l’adressait à M. Hanotaux. Voici comment il résumait l’œuvre à laquelle il avait collaboré : « Le projet s’abstient, autant que possible, des innovations qui auraient pu soulever de trop grandes objections de la part des Turcs : affermissement du pouvoir central dans les vilayets, développement de la vie commune, simplification de la justice et des finances, admission des chrétiens aux hautes fonctions civiles dont ils sont systématiquement exclus, ainsi que dans la gendarmerie et la police, protection des chrétiens contre les Kurdes : telles sont les grandes lignes du projet[1]. »

Ici nous voyons apparaître, ou plutôt reprendre, avec une floraison nouvelle et plus intense, le système de temporisation, agrémenté de subterfuges savamment calculés que la Porte, de tout temps, a employé pour se dérober à ses devoirs et à l’intervention de l’Europe. Jamais la diplomatie byzantine, dont les Turcs ont hérité en s’établissant sur les rives du Bosphore, n’a déployé une habileté plus déliée. Usant de dénégations et de duplicité, elle n’a omis aucun effort pour égarer ou désunir les négociateurs, pour couvrir, des apparences de la bonne foi, les contradictions, qui éclataient chaque jour davantage, entre ses paroles et ses actes. Dans ses entretiens avec les représentans, le sultan, modulant son langage selon la nationalité de son interlocuteur, se montrait aussi empressé qu’eux-mêmes à reconnaître l’urgente nécessité d’adopter de larges réformes, et rien, ajoutait-il, n’égalait sa reconnaissance pour les soins qu’on prenait de sa couronne. On constatait néanmoins, en toute occasion, que ses faveurs restaient invariablement acquises aux agens qui avaient exécuté ses ordres et que, de toutes parts, on entravait la manifestation de la vérité sur les faits qu’il importait d’élucider.

Le projet conçu par les ambassadeurs fut soumis à l’examen et à l’agrément de leurs gouvernemens. Le cabinet anglais ne s’en montra pas absolument satisfait ; il aurait voulu y trouver des dispositions conférant à l’Europe un droit de contrôle bien défini, une clause, notamment, lui permettant de participer à la désignation

  1. Livre Jaune, p. 44.