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concentrait des forces considérables en Macédoine, sur la frontière de la Thessalie. Le danger se déplaçait, mais il n’était que plus redoutable pour la paix générale.

La Russie proposa de faire « un pressant appel à la sagesse du roi Georges et de son gouvernement, les prévenant que, si les bâtimens grecs n’étaient pas rappelés immédiatement, ils ne tarderaient pas à être réduits à se soumettre à la ferme et unanime volonté de l’Europe. » L’Allemagne déclina l’ouverture du cabinet de Saint-Pétersbourg ; elle estimait « qu’il était au-dessous de sa dignité de faire d’autres démarches à Athènes. » Elle exprima l’avis, et elle ne varia plus, de faire désormais usage de la force pour vaincre l’obstination du cabinet hellénique, en bloquant le Pirée et les côtes de la Grèce. L’empereur s’expliqua lui-même en ce sens avec notre ambassadeur. « Nous avons, lui dit-il en terminant, empêché la Turquie d’envoyer des troupes en Crète ; ce serait une félonie de notre part de laisser les Grecs la lui prendre[1]. » Sa sollicitude pour les intérêts du sultan restait irréductible. De son côté, le cabinet anglais, après un instant d’hésitation, déclara nettement que l’état de l’opinion publique ne lui permettait pas de concourir à des actes de coercition ; à toute suggestion de cette nature il substitua « une déclaration d’autonomie effective de la Crète » et il en saisit les puissances. Sur l’une et l’autre proposition, les cabinets se divisèrent : le blocus du Pirée et des côtes de la Grèce fut abandonné, et la déclaration d’autonomie de la Crète fut ajournée.

Ces dissentimens laissaient la situation sans issue, pendant que les circonstances devenaient de plus en plus impérieuses. La Grèce maintenait ses forces navales et le corps du colonel Vassos en Crète ; elle rappelait ses réserves pour couvrir, prétendait-on, la frontière de Thessalie ; interprète du sentiment public, qui affirmait hautement ses aspirations ambitieuses, la presse d’Athènes ne dissimulait pas qu’on entendait porter la guerre en Macédoine. La Turquie, de son côté, hâtait fiévreusement les mesures d’armement qui étaient en voie d’exécution. En Serbie et en Bulgarie, on déclarait, sans détours, qu’on adhérait au statu quo, mais au statu quo pour tous. « Des avantages consentis à l’un, ou à l’autre nous feraient un devoir de revendiquer des avantages équivalens[2]. » La Crète continuait à être déchirée sans merci ; on se battait, on

  1. Livre Jaune, tome II, p. 59.
  2. Dépêche de M. Patrimonio, ministre à Belgrade. Livre Jaune, tome II, p. 77.