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officielle, et ils étaient d’autant mieux en position de tout parfaire que les chrétiens avaient acquiescé avec enthousiasme aux dispositions d’ordre administratif prises par la conférence de Constantinople, renonçant ainsi à toute velléité de s’unir au royaume hellénique.

Le moment était donc opportun pour agir avec promptitude et avec fermeté. A quelles résolutions les puissances se sont-elles arrêtées et quelles mesures ont-elles prises pour réaliser rapidement l’autonomie de la Crète ? Au lieu de s’unir pour sommer la Turquie et la Grèce de se conformer à l’entente commune, elles délibérèrent pendant des semaines et des mois sans se mettre d’accord sur aucun point. La première question à résoudre consistait dans le choix d’un gouverneur muni des pouvoirs et des moyens suffisans pour tout reconstituer en Crète. On ne parvint pas à s’entendre ; la défiance souillait de toutes parts et entravait toute résolution. Cet administrateur ne devait relever de la nationalité d’aucune des puissances intervenantes, prétendait-on d’une part ; il doit être agréé par toutes également, répliquait-on de l’autre ; il doit offrir, ajoutait-on de tous côtés, des garanties de capacité et d’aptitude. Qui devait en être juge ? On ne l’indiquait pas. On se mit en quête de cet administrateur modèle en Suisse, en Belgique, en Hollande ; ce fut en pure perte. La Porte, on l’a vu, revendiquait, à titre de puissance suzeraine, le droit de le désigner elle-même, de lui conférer l’investiture, et de le choisir parmi ses sujets chrétiens. On songea, sans plus de succès, à confier ces attributions à l’un des commandans des forces navales et successivement à constituer les amiraux en une sorte de conseil administratif et supérieur. Pendant le cours de ces incertitudes et de ces lenteurs, l’anarchie déployait son empire en Crète, en présence des flottes internationales, impuissantes à y remédier.

Quelle attitude gardaient la Turquie et la Grèce durant cette longue période ? Comme si la lutte était exclusivement engagée entre elles, la Turquie augmentait les forces qu’elle continuait à entretenir en Crète, recourant au besoin à la ruse pour se soustraire aux représentations des ambassadeurs ; et elle stimulait le zèle des musulmans, les provoquant à la résistance, — on sait par quels moyens. La Grèce persistait à expédier d’Athènes, aux chrétiens, des secours de tout genre, même des volontaires, et elle en vint à y envoyer une fraction notable de sa flotte avec un contingent de son armée, de façon que les difficultés de la