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Page:Revue des Deux Mondes - 1898 - tome 148.djvu/58

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ont plus fréquemment été réitérées par de bons juges et mieux démenties par la tardive splendeur de son automne. Ses débuts ne pouvaient faire augurer un tel couronnement de sa carrière. Il parlait bien : avec modestie, mais sans timidité ; en sachant évoquer une foule d’idées, mais sans fatiguer son auditoire de prétentieuses et obscures généralités ; avec un flot limpide et intarissable de paroles précises et justes, que ne troublait aucune phraséologie bizarre, ni aucune métaphore ambitieuse ; d’une voix harmonieuse, qu’accompagnait un geste sobre et discret. La Chambre l’apprécia du premier coup. Un tel homme était désigné pour les emplois. Sir Robert Peel le nomma l’un des lords de la trésorerie, puis sous-secrétaire d’Etat aux colonies dans son court ministère de 1834-35. Cette brève initiation aux affaires le mit hors de page et hors de pair. Désormais, il faisait partie de l’état-major de l’armée. Les libéraux avaient repris le pouvoir avec lord Melbourne ; ils le gardèrent cinq ans, pendant lesquels les conservateurs, menés avec une prudence consommée, achevèrent de reconquérir l’opinion. Gladstone ne fut pas l’un des lieutenans les moins zélés de Robert Peel pendant cette campagne. Il vit sa réputation parlementaire grandira chaque session. La politique ne l’absorbait pourtant pas tout entier. Il méditait une œuvre de doctrine.

Son livre parut en 1838 sous le titre de « l’Etat dans ses relations avec l’Eglise ». C’était un essai de systématisation philosophique de la théorie des théologiens de l’anglicanisme sur les établissemens religieux. Il y avait là un effort viril, un louable labeur, une bonne foi transparente, et Macaulay, bien qu’il ne pensât comme Gladstone ni en politique ni en religion, rendit un hommage sincère à la « jeunesse vénérable » de son adversaire. Ce livre était le manifeste d’une sorte de cléricalisme anglican. Il établissait, avec une naïveté et un sérieux que n’embarrassait pas le scandale des conséquences pratiques de la thèse en Irlande, le droit et le devoir de l’Etat de professer la vérité dans l’ordre religieux et, à cet effet, d’instituer une Eglise, de solder un clergé ou de légaliser les dîmes, d’ordonner des privilèges et des inégalités. Ce n’était point dans l’intérêt de la sécurité publique, à titre de mesure de police, et comme pour faire du clergé une gendarmerie morale qui vînt en aide à la gendarmerie proprement militaire qu’il demandait une religion d’État. Ce n’était pas non plus par je ne sais quelle lâche défiance des forces de la vérité,