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calme. Son visage reflétait la confiance que lui inspirait la coopération assurée de l’armée prussienne.


III

Les ordres de l’Empereur prescrivaient que tous les corps d’armée devaient être à neuf heures précises sur leurs positions de bataille, prêts à attaquer. Mais les troupes qui avaient passé la nuit à Genappe, à Glabais, et dans les fermes éparses aux environs, mirent beaucoup de temps à se rallier, à nettoyer leurs armes et à faire la soupe. Elles n’avaient, en outre, pour unique débouché que la grande route de Bruxelles. A neuf heures seulement, le corps de Reille arriva à la hauteur du Caillou. La garde à pied, les cuirassiers de Kellermann, le corps de Lobau et la division Durutte étaient bien en arrière. Pour engager l’action, l’Empereur voulait, à tort ou à raison, avoir tout son monde dans la main, et, d’ailleurs, il ne semblait pas que l’état du terrain permît encore de faire manœuvrer l’artillerie. C’était du moins le sentiment de Napoléon et de Drouot[1].

Vers huit heures, l’Empereur avait déjeuné à la ferme du Caillou avec Soult, le duc de Bassano, Drouot et plusieurs officiers généraux. Après le repas, qui avait été servi dans la vaisselle d’argent aux armes impériales, on déploya les cartes sur la table. L’Empereur dit : « — L’armée ennemie est supérieure à la nôtre de plus d’un quart. Nous n’en avons pas moins quatre-vingt-dix chances pour nous, et pas dix contre. » Ney, qui entrait, entendit ces paroles. Il venait des avant-postes et, trompé par quelque mouvement des Anglais qu’il avait pris pour des disposition de retraite, il s’écria : « — Sans doute, Sire, si Wellington

  1. Presque tous les historiens militaires disent que quelques heures de beau temps ne pouvaient raffermir le terrain. Cela est fort discutable. J’ai posé la question à des officiers d’artillerie avant qu’ils ne partissent pour les manœuvres. Au retour, la plupart d’entre eux m’ont écrit que les terres s’assèchent rapidement, même en septembre, pour peu qu’il y ait du soleil et du vent. Mon ami, M. Charles Malo, un des premiers critiques militaires de ce temps, m’a dit aussi qu’à une visite du champ de bataille de Bouvines, où le sol est argileux comme à Waterloo, il avait été fort surpris de constater que le terrain, horriblement détrempé par une pluie longue et abondante, s’était raffermi en deux ou trois heures sous l’action combinée du soleil et du vent.
    On est allé jusqu’à prétendre que l’état du terrain est un mauvais prétexte imaginé à Sainte-Hélène pour excuser le retardement de l’attaque. C’est si peu une invention de Sainte-Hélène que Drouot a dit, le 23 juin 1815, à la Chambre des Pairs : « ...Au jour, il faisait un temps si effroyable qu’il était impossible de manœuvrer avec l’artillerie... Le temps se leva, le vent sécha un peu la campagne... «