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à environ mille mètres en arrière, près de la ferme de Rossomme. Un mamelon qui s’élevait là, à droite de la route, lui parut bien situé pour servir d’observatoire ; on y apporta de la ferme une chaise et une petite table sur laquelle furent déployées ses cartes. Vers deux heures, quand l’action fut sérieusement engagée, l’Empereur s’établit sur une autre butte, plus rapprochée de la ligne de bataille, à quelque distance du cabaret de Decoster. Le général Foy, qui l’avait reconnu de loin à sa redingote grise, le voyait se promener de long en large, les mains derrière le dos, s’arrêter, s’accouder à la table, puis reprendre sa marche.

Au Caillou, Jérôme avait fait part à son frère d’un propos entendu la veille à Genappe, dans l’auberge du Roi d’Espagne. Le garçon d’hôtel qui lui avait servi à souper, après avoir servi à déjeuner à Wellington, racontait qu’un aide de camp du duc avait parlé d’une réunion concertée entre l’armée anglaise et l’armée prussienne à l’entrée de la forêt de Soignes. Ce Belge, qui semblait bien renseigné, avait même ajouté que les Prussiens arriveraient par Wavres. L’Empereur traita cela de paroles en l’air. « — Après une bataille comme celle de Fleurus, dit-il, la jonction des Anglais et des Prussiens est impossible d’ici deux jours ; d’ailleurs les Prussiens ont Grouchy à leurs trousses. »

Grouchy, toujours Grouchy ! L’Empereur avait trop de confiance dans les renseignemens comme dans la promesse de son lieutenant. Selon la lettre du maréchal, écrite à Gembloux à dix heures du soir et arrivée au Caillou vers deux heures du matin, l’armée prussienne, réduite à 30 000 hommes environ, s’était divisée en deux colonnes, dont l’une semblait se diriger vers Liège et l’autre sur Wavres, « peut-être pour rejoindre Wellington. » Grouchy ajoutait que, si les rapports de sa cavalerie lui apprenaient que la masse des Prussiens se repliait sur Wavres, il la suivrait, « afin de la séparer de Wellington. » Tout cela était bien fait pour rassurer l’Empereur. Mais les Prussiens n’étaient-ils que 30 000 hommes, ne s’étaient-ils pas divisés pour marcher et n’allaient-ils pas se réunir pour combattre ? Grouchy, sur qui ils avaient pris une très grande avance, les atteindrait-il à temps ? Autant de questions que ne se posa point Napoléon ou qu’il résolut de la façon la plus conforme à ses désirs. Aveuglé comme Grouchy l’était lui-même, il s’imaginait que les Prussiens allaient s’arrêter à Wavres ou que, en tout cas, ils se porteraient sur Bruxelles et non sur Mont-Saint-Jean. De Rossomme, l’Empereur se contenta