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qui tenait ses informations du propre neveu de Rubens, nous en a laissé une description assez détaillée. « Entre sa cour et son jardin, dit-il, il fit bâtir une salle de forme ronde comme le Temple du Panthéon qui est à Rome et dont le jour n’entre que par le haut et par une seule ouverture qui est le centre du Dôme. Cette salle était pleine de bustes, de statues antiques, de tableaux précieux qu’il avait rapportés d’Italie et d’autres choses fort rares et fort curieuses. Tout y était par ordre et en symétrie et c’est pour cela que tout ce qui méritait d’y être, n’y pouvant trouver place, servait à orner d’autres chambres dans les appartemens de sa maison. »

Vers 1618, le gros des constructions étant terminé, l’artiste y avait de son mieux disposé tous ses trésors, quand une occasion inattendue se présenta pour lui de les accroître, en achetant l’importante collection d’antiquités formée par l’ambassadeur d’Angleterre dans les Pays-Bas, sir Dudley Carleton. Nous n’avons pas à entrer ici dans le détail des négociations nouées par Rubens à cet égard et qu’il mena jusqu’au bout avec une entente des affaires tout à fait remarquable. Bien que son désir d’acquérir la collection de sir Dudley fût très vif, il n’en laisse rien paraître. Il ne veut pas se laisser entraîner par sa passion, et, le diplomate ayant manifesté l’intention d’être payé partie en argent, partie en tableaux de l’artiste, celui-ci lui propose à son tour toutes les combinaisons qui lui permettraient à lui-même de se libérer entièrement en tableaux, sans avoir rien à débourser. « La raison en est bien simple, écrit-il le 16 mai 1618 à sir Dudley, car bien que j’aie coté ces peintures au plus juste prix, cependant elles ne me coûtent rien, et comme chacun est plus disposé à faire des libéralités des fruits de son propre jardin que de ceux qu’il lui faudrait acheter au marché, ayant dépensé cette année quelques milliers de florins dans mes constructions, je ne voudrais pas, pour un simple caprice, dépasser les bornes d’une sage économie. De fait, je ne suis pas un prince, mais un homme qui vit du travail de ses mains. » Dans la lettre qui clôt cette transaction, conduite d’ailleurs très galamment départ et d’autre, l’ambassadeur relève la façon trop modeste à son gré dont l’artiste a parlé de lui-même ; « il a beau se défendre d’être un grand seigneur, » sir Dudley l’assure « qu’il le tient en réalité pour le prince des peintres et des gens bien élevés. »

En même temps qu’elle nous montre l’intelligence avec laquelle Rubens gérait ses affaires, sa correspondance avec sir Dudley nous