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27 mai 1640, se sentant près de sa fin, « souffrant de corps et alité, » il fait venir un notaire pour revoir minutieusement avec lui les dispositions testamentaires qu’il a déjà prises au lendemain de son second mariage. Malgré l’amour passionné que lui inspire Hélène Fourment, il ne cède à aucun entraînement, et bien qu’il constate les sentimens de concorde et d’union qui, grâce à lui, n’ont pas cessé de régner entre tous les membres de sa famille, il veut tout régler pour éviter les contestations possibles après sa mort. La seule préoccupation de l’équité la plus scrupuleuse préside à cette répartition détaillée de sa fortune, de ses bijoux, de sa bibliothèque, et de ses objets d’art. Il spécifie quels souvenirs seront laissés à des amis ou à ceux de ses confrères qu’il charge de surveiller la vente de sa galerie. Des sommes importantes devront être employées en aumônes, en fondations nombreuses afin que des messes soient dites pour le repos de son âme par les religieux des divers ordres : prêcheurs, augustins, carmes, minimes et capucins, par les membres du clergé régulier, par les curés de Saint-Jacques et d’Ellewyt, ses paroisses d’Anvers et de Steen. Une chapelle sera construite pour sa sépulture dans l’église Saint-Jacques, « pour autant que sa famille le juge digne de ce souvenir, » ajoute-t-il avec sa modestie habituelle ; quant au cérémonial de ses funérailles, il sera conforme à son rang et à sa fortune. Tout a été prévu et le moribond a même songé aux quatre repas qui seront servis le jour de son enterrement : l’un à la maison mortuaire pour ses proches et ses amis ; l’autre à l’hôtel de ville pour le corps des magistrats et les trésoriers de la ville ; un autre à l’auberge du Souci d’Or pour la confrérie des Humanistes ; et le dernier à l’auberge du Cerf pour les membres des Gildes de Saint-Luc et des Violiers.

Trois jours après, Rubens n’était plus. Le soir même de sa mort, le cadavre du grand artiste quittait la chère demeure où s’était écoulée sa vie glorieuse et ses restes étaient provisoirement placés dans la chapelle de la famille Fourment à l’église Saint-Jacques, jusqu’à ce que le monument élevé pour les recevoir fût terminé, au commencement de novembre 1643. C’est là qu’il repose aujourd’hui, et plus éloquemment que les inscriptions pompeuses et les titres nobiliaires qui s’étalent sur sa tombe, l’admirable tableau de la Vierge entourée de Saints, désigné par lui pour en faire l’ornement, proclame les séductions et la puissance de son génie.