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attendre de chacun de ses amis, quel profit intellectuel et moral il y a à tirer de leur commerce. Il serait d’ailleurs facile de relever dans sa correspondance bien d’autres traits caractéristiques, bien d’autres preuves de sa bonté, de sa curiosité universelle et de la distinction de ses goûts. En littérature, le bon sens, la clarté, la justesse et la concision sont les qualités qu’il apprécie le plus. Sans doute, ainsi que la plupart de ses contemporains, — et il l’a fait assez paraître dans ses allégories, — il est porté à la subtilité, à une ingéniosité excessive. Presque toutes les compositions qu’il a dessinées pour servir de frontispices à des livres sont compliquées, touffues à l’excès ; quelques-unes sont de véritables rébus. Outre que c’étaient là des travers communs aux peintres comme aux écrivains de cette époque, souvent les programmes de ces compositions lui étaient imposés par les auteurs. Mais trop souvent aussi Rubens fait avec eux assaut « de belles inventions ; » il discute avec l’éditeur la signification des personnages symboliques qui doivent figurer dans son œuvre, la convenance des attributs qui détermineront d’une manière précise leur caractère ; il propose ses changemens : en tel endroit, il remplacera Apollon par une Muse, à laquelle il mettra une plume sur la tête pour la bien distinguer du dieu. Mais si, en même temps qu’il donne ainsi carrière à sa facilité exubérante, il fait un peu trop montre de son érudition, il dégage nettement de ce fatras allégorique ce qui est essentiel, ce qu’il importe avant tout de mettre en lumière. De même, dans ses lectures, celles qu’il préfère sont les plus instructives, celles qui peuvent le mieux éclairer ou fortifier son esprit, et stimuler son imagination. Il a horreur de l’enflure qui dénature les choses, de cette manie de se mettre en avant, de ces puériles vanités dont certains auteurs étaient coutumiers, et à des éloges excessifs qui lui sont adressés, il répond en demandant qu’on le ménage, « qu’on ne l’expose pas au sort de Narcisse. »

La correspondance diplomatique de Rubens ne nous renseigne pas moins exactement sur sa nature intime, sur sa façon de comprendre la vie et la politique. On conçoit que ses rares qualités et l’éclat de son talent lui aient mérité de bonne heure la faveur des souverains. Dès son retour d’Italie, les archiducs, désireux de le retenir auprès d’eux, l’avaient attaché à leur personne avec le titre de peintre de leurs cours. S’il avait obtenu d’eux la faveur de résider à Anvers, ils cherchaient le plus qu’ils pouvaient à l’attirer