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au courant des usages, plein de sens, très délié et, avec un apparent abandon, toujours maître de lui, il savait à propos attendre ou presser l’occasion, se renseigner en tout cas et d’une manière très précise sur tous les points où il importait d’être exactement informé.

Mais, loin de chez lui, à Paris, à Madrid ou à Londres, le dégoût de cette existence des cours, à la fois vide et agitée, le prend vite. En proie à la nostalgie de son travail et de son foyer, il a lia te de retrouver sa chère maison d’Anvers où, disposant librement de son esprit et de ses journées, il pourra produire les chefs-d’œuvre qui le sollicitent. La vie de famille, ses amis, son atelier, ses collections, c’est là ce qu’il aime par-dessus tout et, loin d’être grisé par la fortune, de plus en plus, avec l’âge, il aspire à la tranquillité. Aussi, dès qu’il le peut, il supplie l’Infante, « pour prix de ses peines, de le décharger désormais de pareilles missions, et de permettre qu’il ne la serve plus que chez lui, en se consacrant tout entier à sa très douce profession. »

C’est pour son art, en effet, que Rubens a toujours vécu. Si, avec les ouvertures de son esprit, la diversité de ses aptitudes et les conditions mêmes de son existence, sa prodigieuse activité aurait pu défrayer plusieurs vies, il est resté jusqu’au bout fidèle à sa vocation. Les hasards de sa destinée conspiraient d’ailleurs avec sa volonté pour tourner au profit même de cet art tous ses dons et tous ses efforts. Instruit déjà par des maîtres flamands, il avait passé huit années de sa jeunesse en Italie ; bien que sa précocité fût extrême, le moment de la pleine production avait été retardé pour lui jusqu’à l’âge de la maturité ; ami de la retraite, il avait dû plus d’une fois quitter son foyer, frayer avec les hommes les plus divers, assister à tous les spectacles, connaître tous les sentimens. Tout ce que la culture des lettres, l’étude des monumens et des écrits des Anciens, tout ce qu’une curiosité toujours en éveil avait pu lui apprendre, il en avait reporté le bénéfice à l’art qu’il aimait par-dessus tout. Doué d’un esprit toujours en mouvement, il ajoutait à ses dons le travail incessant qui les développe. C’est ainsi qu’avec une ardeur toujours égale il a pu suffire à une fécondité sans pareille. Jamais peintre n’a montré plus de spontanéité, plus de fougue, plus de passion ; jamais pourtant on n’en a vu qui procédât avec plus de méthode, qui fût plus maître de lui.

Quand on considère l’ensemble vraiment effrayant de ses