Page:Revue des Deux Mondes - 1898 - tome 148.djvu/710

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

et il n’échappa que par miracle à la boucherie de Septembre. Il a raconté lui-même l’horrible nuit qu’il passa à l’Abbaye ; s’il n’y laissa pas sa vie, il y laissa ses cheveux : « Je me passais fréquemment la main droite sur la tête, et tout en cherchant en moi-même les moyens de me sauver, je me grattais machinalement avec tant de force que, sans m’en douter, je m’arrachai jusqu’à la racine des cheveux. Aussi, dès lors, se mirent-ils à tomber par grandes touffes, si bien que, dans l’espace de trois mois, je devins aussi chauve que je le suis maintenant. »

Il n’était pas au bout de ses peines ni de ses alertes. Il avait été l’un des signataires de la protestation du Parlement contre les actes de l’Assemblée nationale ; le Comité de sûreté générale lança contre lui un décret de prise de corps. Il fut réduit à errer dans les environs de Paris, couchant où il pouvait, dormant parfois à la belle étoile, traqué, disait-il, comme une bête fauve. Sous le Directoire, il sera arrêté de nouveau et mis en jugement pour avoir entretenu une correspondance clandestine avec les ennemis de l’État. Il se targuait avec raison d’avoir rendu de grands et périlleux services ; il trouva que Rome était lente à les reconnaître, il accusait « ces Messieurs d’oublier facilement ce qu’on avait fait pour eux. » Quand il reçut avec la consécration épiscopale le titre d’évêque in partibus d’Orthozia, cette récompense lui parut maigre ; mais en 1820, il fut nommé évêque de Saint-Flour ; cette fois il fut content, et il se signala dans son diocèse par son zèle, par des fondations utiles, par ses vertus d’excellent administrateur.

Entre 1808 et 1812, à la demande de Mme de Villeneuve-Ségur, il avait écrit ses Mémoires en italien. Il y racontait « son martyre, sa vie sous la Terreur, son procès sous le Directoire. » M. l’abbé Bridier a retrouvé récemment et publié en traduction ces Mémoires inédits, qui ont été fort goûtés : le fils du consul de Carpentras avait le don de narrer des événemens extraordinaires et sinistres avec beaucoup de naturel et d’agrément[1]. Cependant des critiques sévères lui ont cherché querelle ; ses récits leur ont paru suspects, ils y ont relevé plus d’un détail inexact. L’abbé prétendait avoir été nommé internonce du pape après le départ de Mgr Dugnani ; on a remarqué fort justement « que la nonciature de Paris occupait dans la hiérarchie diplomatique un rang qui ne comportait pas d’internonce, et qu’au surplus Mgr Dugnani, absent, mais non rappelé de son poste, en demeurait officiellement titulaire. »

Aujourd’hui nous ne pouvons plus douter qu’il n’entretînt une correspondance

  1. Mémoires inédits de l’internonce à Paris pendant la révolution, 1790-1801, par l’abbé Bridier, du clergé de Paris, 1892 ; librairie Plon.