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lueur d’espérance, c’est certainement dans ce moment ; cependant nous n’avons pas à nous réjouir encore. Nous trouverons toujours un obstacle invincible dans les personnages qui occupent le Château... Ils ne veulent point de contre-révolution qu’ils n’auront pas faite. La grande Dame est toujours imbue des idées monarchiennes. » Il s’écriait aussi : « Nous sommes encore loin du bonheur. »

Il ne faudrait pas croire que cet abbé que Marie-Antoinette scandalisait par son libéralisme, et qui l’accusait de comploter contre la religion, fût un bigot. Il est convenu lui-même que la dévotion n’était pas son fait. Il nous dit dans ses Mémoires « qu’il était aussi fidèle à prendre sa tasse de chocolat qu’à réciter son bréviaire et peut-être même un peu plus ; qu’à sa honte, ses occupations lui faisaient quelquefois oublier de le dire en entier. » Il confesse qu’il rencontra à l’Abbaye des prêtres beaucoup plus fervens que lui, qu’ils aspiraient à la gloire et aux douceurs du martyre, qu’il se sentait fort éloigné de pareilles dispositions : « Mon Dieu ! disait-il, je vois bien qu’il me faut mourir. Si je n’ai rien fait pour mériter le ciel, ne l’attribuez qu’à la fougue de la jeunesse. Vous savez que je n’ai jamais parlé contre votre sainte religion. » En 1814, devenu évêque in partibus, il écrira de Rome à une religieuse carmélite : « Priez pour moi ; j’ai besoin encore d’un peu plus de ferveur. »

Cet intransigeant n’était pas non plus un de ces théologiens subtils ou farouches, dont les opinions ont la rigidité d’un dogme. De son propre aveu, il avait peu de goût pour la scolastique, il ne se souciait que de la morale, et c’était la pratique qui l’intéressait. Il était né conseiller-clerc ; il avait le tempérament d’un homme de loi, et il aima toujours à compulser les dossiers. Il se vantait qu’en dix-huit mois il avait rapporté 3 400 procès sur les 23 000 que la Chambre des vacations dut liquider. Ce parlementaire, d’esprit court et dépourvu de toute imagination spéculative, ne considérait les affaires les plus compliquées de ce monde que comme des procès à instruire ; dans un temps d’orages et d’universelle confusion, il faisait de la politique de légiste. Ne tenant aucun compte des circonstances et de la fatalité des situations, il appliquait la rigueur de la loi aux intrus, aux orthodoxes timorés, aux monarchiens, aux moyennistes, aux inconséquences et aux expédiées de Marie-Antoinette. La Révolution fut toujours pour lui un mystère ; incapable de comprendre, il requérait et condamnait.

Ne lui faisons pas tort : il rachetait la médiocrité de son esprit par certaines qualités rares et son intransigeance par son intrépide courage. C’était de toutes les vertus celle qu’il estimait le plus. « Rien ne