Page:Revue des Deux Mondes - 1898 - tome 148.djvu/938

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

et pourquoi est-ce qu’il oppose les critiques aux commentaires et les arguties aux subtilités ? Mais le pédantisme, parce qu’il fait des grâces, cesse-t-il d’être le pédantisme ?

Il en va de même de la modestie de Lamotte. Certes, chaque fois qu’il parle de lui, il s’empresse de convenir qu’il est un très petit personnage ; mais sa conscience une fois mise en repos grâce à cet artifice, il ne résiste plus au plaisir de parler de soi, et il est sur ce chapitre d’une abondance et d’une complaisance inépuisables. Ennemi déclaré de la race des commentateurs, il se fait pourtant son propre commentateur et nous explique les mérites de ses œuvres. Il n’a pas l’outrecuidance de se comparer aux maîtres ; pourtant il refait des fables après La Fontaine et donne à entendre que l’avantage est de son côté ; car il invente ses sujets, tandis que La Fontaine se borne à développer des sujets d’emprunt. Il refait l’Iliade après Homère, et il va sans dire que c’est pour la faire meilleure. Une vignette placée en tête du poème représente Homère remettant sa lyre à Lamotte :


Homère m’a laissé sa Muse
Et, si mon orgueil ne m’abuse,
Je vais faire ce qu’il eût fait.


Il est tout disposé à confesser ses fautes, mais à condition de faire la confession d’autrui en même temps que la sienne. « Je ne choisirai que quelques exemples... afin de donner par là l’idée la plus exacte qu’il me sera possible des fautes d’Homère et des miennes. Peut-être serai-je un peu plus sévère pour Homère que pour moi... » Ce qui est vrai, c’est que ce bel esprit est d’une vanité qui nous désarme par sa candeur. Grand faiseur de théories, Lamotte est aussi bien le théoricien de la vanité de l’écrivain. « Tout homme qui donne au public des ouvrages de bel esprit est convaincu de vanité par le fait même ; car, quel motif pourrait avoir un auteur, quand il imprime des ouvrages purement ingénieux, si ce n’est de faire avouer à ses lecteurs qu’il a de l’esprit et des talens ? Si son but n’eût été que de s’amuser, il ne produirait pas l’ouvrage au grand jour... Ce n’est donc pas un reproche à faire à un poète que la vanité. Cela s’en va sans dire. » Je ne conteste pas que ce raisonnement ne soit pour le moins spécieux. Toujours est-il qu’à travers ces lignes apparaît une conception nouvelle qui va être celle de l’homme de lettres. L’écrivain classique respectait son art et se méfiait de soi ; l’homme de lettres se moque de son art et s’admire lui-même. L’écrivain suivant le précepte de Boileau avait le devoir d’être « honnête homme ; » l’homme de lettres a le droit à la vanité.