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D’autres temps sont venus ; les prétextes politiques dont se couvraient un certain nombre de troupes de brigands sont devenus archaïques ; attaquer la propriété sous couleur de défendre la légitimité politique est aujourd’hui hors de saison. La maréchaussée, d’ailleurs, a accompli son œuvre ; elle a, de gré ou de force, fait rentrer dans l’ombre les individualités trop débordantes qui naguère empruntaient au brigandage une sorte de souveraineté spontanée ; elle a nivelé les énergies, comme il convient dans une société bien ordonnée, et, pour consommer ce nivellement, quelques corps de brigands jonchèrent le sol ; la foule des déclassés, des déshérités, qui trouvaient leur compte à être les subalternes du brigandage, tombèrent en disponibilité, et beaucoup de pauvres gens auxquels cette institution déchue aurait, si l’on ose ainsi dire, assuré un état social, sont aujourd’hui contraints de s’expatrier. Entre le brigandage, dont les années de 1860 à 1864 marquèrent le plein déchaînement, et l’émigration, qui n’a point encore atteint ses extrêmes limites, il y a donc, en quelque mesure, comme une filiation ; et l’un des hommes qui ont le mieux étudié la situation économique des provinces méridionales, M. le professeur Tammeo, nous paraît confirmer cette remarque, lorsqu’il écrit : « De 1862 à 1870, il y a une diminution sensible dans le nombre des homicides, spécialement en Basilicate. Jadis, on constatait une proportion de 42 homicides pour 100 000 habitans ; elle s’est abaissée aujourd’hui jusqu’à 21. Il suffit de connaître ces données, pour se persuader que l’émigration, dans cette province spécialement, est un bien, puisque la même cause, qui jadis poussait un individu à l’assassinat, l’éloigné aujourd’hui de sa patrie et l’attire dans des contrées lointaines. »

Avant l’annexion du royaume de Naples, l’émigration méridionale était presque nulle : c’étaient des figures, c’étaient des gens de la province de Côme, qui s’en allaient en Argentine ; c’étaient des Génois, aussi, qui commençaient à former la colonie italienne des États-Unis ; et la race italienne n’avait point encore songé à la conquête morale et agricole du Brésil. La Basilicate fut la première province du Midi dans laquelle on vit se dessiner un sérieux mouvement d’émigration : dès 1876, elle perdit, pour ce motif, plus de mille habitans ; et les années suivantes, le chiffre alla croissant ; sur 548 000 âmes, auxquelles on évalue sa population, 12 000 s’éloignèrent en 1887, 10 440 on 1895, 12 500 en 1896. Ces chiffres effrayans sont rangés par les