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vous lui prêchez aussi le culte des faits. Vous entendez par-là les faits palpables, certains, indiscutables, matériellement réels et garantis par la science. Mais ces faits demandent à être interprétés, expliqués ; et dès qu’il s’agit d’en pénétrer le vrai sens, le savant lui-même n’a que des hypothèses à vous proposer, et les hypothèses de la science varient de siècle en siècle. Vous invitez le peuple à résoudre les questions du jour. Quelle prudence éclairée, quelle sagesse profonde vous lui supposez !

Le sphinx de la fable attendait les passans au croisement des chemins ; il leur proposait des énigmes ; malheur à qui ne devinait pas son secret ! Plus doux et bienfaisant était le sphinx de l’ancienne Égypte, être pacifique, moitié humain, moitié animal. On le rencontrait dans le voisinage des temples, et des sépultures royales, et on reconnaissait en lui l’image de la contemplation mystérieuse, repliée en elle-même, se repaissant de la sainte présence de la majesté divine. Tout autre est le sphinx du monde nouveau, création de la fantaisie des Grecs. Être pernicieux, féroce, d’origine démoniaque, engendré par le monstre Typhon et par Echidna, il représente la puissance du Tartare, et le mystère qu’il exprime n’est pas celui de la contemplation, c’est le mystère de la pensée violente et destructive, du génie ergoteur, de l’esprit de dispute et de révolte. Ne mettez pas les simples aux prises avec le mauvais sphinx ; il dévore ceux qui répondent de travers à ses questions captieuses.

Laissez au peuple ses légendes et, au nom de la vérité historique, ne l’empêchez pas de croire au bien et au vrai. Ses croyances s’incarnent dans des images vivantes ; le priver de ces images, c’est appauvrir son cœur et attrister sa vie. La lecture favorite du peuple russe est l’histoire des saints. Ces héros étaient des hommes ; ils ont connu comme nous et les faiblesses de la chair, et les incertitudes de la pensée et les hésitations de la volonté ; mais ils sont sortis vainqueurs de la lutte, et si l’imagination de leurs biographes a parfois embelli leurs glorieuses aventures, elles ne laissent pas d’être aussi vraies qu’un fait. L’analyse, appliquée aux choses saintes est un grand trouble-fête et vient souvent du malin. C’est le malin qui dit à tel simple d’esprit : « Pourquoi adresses-tu des prières à ton saint Nicolas ? As-tu jamais vu que saint Nicolas vienne en aide à qui le prie ? » Respectez et les légendes et les superstitions innocentes ; on risque, en épurant les croyances, d’arracher le froment avec l’ivraie.

Un célèbre poète arabe raconte que Moïse rencontra un jour dans le désert un berger qui priait avec ferveur. Il disait à Dieu : « Que