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chose, comparés à celui qu’elle fit dans son duel contre la France et Napoléon. Si cruelle que l’issue en ait été pour nous, nous devons rendre hommage à l’indomptable ténacité dont nos ennemis donnèrent alors l’exemple. En vingt-deux ans, la dette anglaise tripla : elle s’élevait en 1815 à environ vingt milliards de francs, soit 800 millions de livres sterling[1]. Rappeler que ce total est supérieur à celui de la dette actuelle d’aucune nation, la nôtre exceptée, c’est faire comprendre d’un mot quelle en était l’énormité au commencement du siècle. Dire en même temps que le Royaume-Uni est seul à nous présenter le spectacle d’un pays dont la dette est réduite en 1897 à moins des trois quarts de ce qu’elle était il y a 80 ans, c’est faire pressentir à nos lecteurs tout l’intérêt d’une histoire financière unique en Europe. Car il faudrait passer les mers et montrer comment les États-Unis d’Amérique ont, en quelques années, remboursé presque entièrement une dette comparable à celle de l’Angleterre, pour trouver le spectacle d’un peuple plus prompt encore à effacer les traces financières d’une lutte fratricide. Mais si nous réfléchissons à la différence des conditions de la vie nationale en Europe et en Amérique, nous trouvons que les résultats obtenus au cours du XIXe siècle par les Anglais, bien que moins rapides et brillans que ceux auxquels les Américains sont parvenus, méritent peut-être d’être encore plus admirés : les obstacles à vaincre étaient infiniment plus grands ; les services qu’un peuple européen s’attend à voir assurer par l’État, même en un pays d’individualisme anglo-saxon, sont plus nombreux et plus coûteux ; les difficultés politiques, dans un vieux monde où l’Angleterre n’a pas renoncé à jouer un rôle et dans un univers qu’elle a peuplé de ses colonies, lui imposent des dépenses militaires et navales que les États-Unis, aussitôt la guerre de Sécession terminée, ont pour ainsi dire supprimées du jour au lendemain. Nous ne savons pas dans quelle mesure ils vont les augmenter, à la suite de leur guerre contre l’Espagne.

Il suffit, pour mesurer la grandeur de la politique économique anglaise au point de vue spécial qui nous occupe, de la comparer à celle des autres pays européens. Partout ailleurs nous voyons les budgets écrasés par des emprunts, dont les capitaux ne sont

  1. Nous ne parlerons plus au cours de cet article qu’en monnaie anglaise, dont l’unité est la livre sterling, qui vaut 25 fr. 22 cent. La livre se divise en 20 shillings et le shilling en 12 pence.