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microcosmes pour observer les mœurs et les mouvemens de la vie.

Le moment semble donc venu d’étudier, à propos de nos deux grands caricaturistes, l’art même de la Caricature. Existe-t-il depuis longtemps et a-t-il toujours été ce que nous le voyons aujourd’hui ? S’il a évolué, quelle fut cette évolution et où l’a-t-elle mené ? Quel est maintenant le rôle de la Caricature ? Est-ce, comme on est tenté de le croire d’abord, un art du rire, ou est-ce vraiment une leçon de philosophie, ou une arme politique ? ou si ce ne serait pas, tout simplement, une forme d’art mineur, un petit art synthétique, plus apte à fixer certains côtés de la nature que les autres arts, sans tant d’intentions comiques, ni beaucoup de philosophie ? C’est ce que nous voulons examiner.


I

Si, dans cet art vieux comme le monde et international comme l’océan, quelque chose a changé, ce ne sont pas les procédés caricaturaux. Grandville a paru nouveau en montrant les puissans de ce monde sous la forme d’hôtes de basse-cour ou de pillards de garenne, mais déjà les caricaturistes de la Révolution : Duhaulchoy et l’auteur de la célèbre planche : « Comment voulez-vous être mangés ? » l’avaient fait ; et avant Duhaulchoy, en 1685, les Anglais figuraient le Père Pètre, confessant la reine Marie de Modène, sous forme d’un loup dans la bergerie ; et avant les Anglais, au moment de la Satire Ménippée, en 1593, on avait ri du duc de Mayenne en singe, dans l’estampe intitulée la Singerie des États de la Ligue ; et bien des siècles avant cette singerie, on avait fabriqué dans la Gaule romaine des singes en terre cuite, portant camail et capuchon ; et avant ces singes, les Latins avaient gravé sur leurs pierres fines des sauterelles faisant office de portefaix, portant l’assilla et les corbes ; et avant les Latins, les Grecs avaient tourné bien des bêtes à la ressemblance de l’homme, et les Égyptiens figuré Ramsès II à la tête de son armée, sous les espèces et apparences d’un rat, conduisant une légion de rongeurs à l’assaut d’un château fort de Grippeminauds.

Même quelques-unes de ces caricatures faites dans les temps les plus différens semblent inspirées les unes des autres. Ainsi l’artiste du XIIe siècle qui a figuré sur une poutre de la maison des Templiers, à Metz, un renard, debout, s’avançant, un bâton de voyage à la patte, et un paquet au dos, paraît avoir pris pour