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sur l’ordre des temps, et le fait est que l’accusation a été renouvelée depuis cinquante ans, et plus d’une fois ; mais à peine en trouvons-nous trace dans les actes du premier concile plénier de Baltimore, tenu du 10 au 20 mai 1852. On lit seulement, dans la Lettre Pastorale adressée par les évêques à leur clergé et à leur peuple, un passage où ils exhortent les fidèles à faire constamment œuvre de bons Américains, « non pas, disent-ils, qu’il y ait lieu de craindre à cet égard que vos sentimens puissent jamais différer de ce qu’ils ont toujours été, mais, et à l’exemple de saint Paul, pour que vous trouviez dans votre religion même de plus profondes raisons encore de remplir vos devoirs de citoyens. » Un décret du même concile vaut aussi la peine d’être rappelé. « La constitution et les lois de nos Etats, y est-il dit, ayant pourvu très sagement à ce qu’aucun pouvoir séculier n’entreprît de s’immiscer dans les choses de la religion, les évêques devront employer tout leur zèle, avec prudence toutefois, pour qu’en aucune rencontre les soldats ou marins catholiques ne soient obligés d’assister contre leur conscience aux cérémonies des cultes non catholiques. » Quand le pouvoir religieux, — avec la prudence qui est dans les habitudes de l’Eglise catholique, — peut négocier avec le pouvoir civil sur de semblables questions, c’est que bien des défiances sont tombées, et la liberté religieuse est tout près d’être entière. Quelques années plus tard les événemens de la guerre de Sécession achevaient d’emporter ce qui pouvait survivre encore des soupçons d’autrefois ; et j’ignore si, comme au temps du révérend Baird, « la population protestante et les ministres en particulier continuent de surveiller tous les mouvemens du clergé romain ; » mais je ne crois pas qu’aucun Américain se défie aujourd’hui du « civisme » ou même du « libéralisme » de ses concitoyens catholiques.

Il est enfin un dernier obstacle à la propagation du catholicisme aux États-Unis, que l’on m’a plusieurs fois signalé, mais dont je n’ose guère parler, comme n’étant pas de ceux dont on puisse aisément mesurer la force, ou seulement vérifier l’existence. Est-il donc vrai, serait-il donc possible que, dans cette grande démocratie, l’humble origine et la condition populaire du plus grand nombre des catholiques eussent jeté quelque défaveur sur les doctrines qu’ils professent ? Ainsi pensait-on chez nous, en France, dans les dernières années du XVIIIe siècle ; nos philosophes croyaient se « décrasser » en se « déchristianisant ; » et ce qui