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culte, auxquelles on s’efforce de donner le même éclat que de tout temps en pays catholique.

Et, en effet, quoi qu’on en puisse dire, quel mal y a-t-il à épuiser pour célébrer Dieu tout ce que la nature et l’art peuvent offrir de ressources ? Il me revient en mémoire un passage du Journal d’Elisabelh Seton, la fondatrice aux Etats-Unis de l’ordre des filles de la Charité. « Florence, lundi 9 janvier 1804. Je suis entrée dans l’église de San Lorenzo, et là, je me suis sentie vraiment ravie. » — Notez qu’à cette date elle était encore protestante. — « Comme je m’approchais du grand autel, formé de ce qui existe de plus précieux, pierres et marbres admirables, ces paroles : Mon âme glorifie le Seigneur et mon esprit se réjouit en Dieu mon Sauveur, s’emparèrent de ma pensée avec une vivacité, une ferveur telles que tout autre sentiment disparut. L’image s’éveilla en moi de ces offrandes que David et Salomon firent au Seigneur leur Dieu lorsque les plus riches produits de l’art et de la nature furent dédiés à son saint Temple et sanctifiés à son service[1]. » Je le demande aux hommes de bonne loi, à quel titre, ou de quel droit proscririons-nous ces sentimens ? Pourquoi l’exaltation de l’imagination, si du moins nous savons la diriger vers son vrai but, n’aurait-elle pas sa part dans la formation du sentiment religieux ? Ne sommes-nous que de purs esprits, ou que des « raisons » raisonnantes ? Et s’il y a tout un sexe, — et aussi toute une race d’hommes, — à qui la poésie de la religion ne soit accessible que sous cette forme ou par cet intermédiaire des solennités du culte, pourquoi la leur disputerait-on ?

Il en faut dire autant de certaines dévotions qu’on peut d’ailleurs aimer ou n’aimer pas, mais dont on aurait tort de croire que le caractère un peu populaire ait effrayé le « bon sens » des catholiques d’Amérique. Je ne suis point du tout choqué pour ma part de trouver à New-York une église consacrée sous le vocable de Notre-Dame-de-Lorette ; et, à Chicago, s’il y en a deux de placées sous l’invocation de Notre-Dame-de-Lourdes, je ne sais pourquoi je regrette que l’une soit allemande et l’autre bohémienne, mais aucune française. Il y a encore une chapelle de Notre-Dame-de-Lourdes à Philadelphie ; et certainement j’en trouverais d’autres si je relevais les noms des 9 670 églises ou chapelles qui figurent dans l’Hoffmann’s Catholic Directory : c’est l’annuaire officiel du

  1. Elizabelh Seton et les commencemens de l’Église catholique aux États-Unis, par Mme de Barberey, 5e édition ; Paris, 1892, Poussielgue, t. Ier, p. 197.